Un arrangement se profile dans l’affaire 1MDB
Le Ministère public de la Confédération enquête sur les dirigeants de la société pétrolière PetroSaudi, impliquée dans le détournement de 1 milliard de dollars en faveur du premier ministre malaisien. La procédure pourrait s’achever par une condamnation négociée
Le timing est politiquement délicat. A une semaine des élections législatives en Malaisie, la justice suisse a confirmé au Financial Times l’ouverture d’une enquête visant directement deux dirigeants de la compagnie saoudo-genevoise PetroSaudi.
Cette société avait joué un rôle clé lors de l’élection de l’actuel premier ministre malaisien, Najib Razak, en 2013, en finançant sa campagne menée – notamment – avec le cabinet londonien Tony Blair Associates.
Depuis trois ans, le Ministère public de la Confédération enquête sur le détournement de quelque 4 milliards de dollars issus du fonds souverain malaisien 1MDB. Un milliard environ serait passé par PetroSaudi avant d’être siphonné par un proche du premier ministre malaisien, l’homme d’affaires Jho Low.
C’est la première fois que le MPC admet enquêter sur les dirigeants de PetroSaudi. Et les accusations sont sévères: gestion déloyale, escroquerie par métier, corruption, blanchiment aggravé, gestion déloyale des intérêts publics et – pour l’un des deux prévenus – faux dans les titres.
La faute des Malaisiens
«Comme toujours la présomption d’innocence vaut pour l’ensemble des parties impliquées», rappelle le porte-parole du MPC, Anthony Brovarone.
Les avocats de PetroSaudi n’ont pas fait de commentaire sur ces développements. Mais la société pétrolière, basée à Londres, Riyad et Genève, a toujours défendu la légitimité de ses transactions. Elle devait exploiter des champs pétroliers avec le fonds souverain 1MDB et a reçu le milliard de dollars dans ce but. Ces projets ne se sont finalement pas concrétisés. Si l’argent a ensuite disparu, expliquent en substance des sources proches de la société, c’est uniquement la faute des Malaisiens et de Jho Low, pas celle de PetroSaudi.
Le MPC a manifestement du mal à avaler cette explication. «Ce deal entre PetroSaudi et 1MDB est-il réel? Si les Suisses ouvrent une enquête maintenant, c’est qu’ils partent du principe que c’est une fausse transaction destinée à détourner de l’argent», estime une personne bien informée sur l’enquête.
Fruit empoisonné
Mais la position du MPC dans cette affaire est moins solide que ne le suggèrent les inculpations chez PetroSaudi. L’affaire 1MDB est l’une des trois plus grosses que traitent les procureurs fédéraux, avec la corruption à la FIFA et le scandale Petrobras au Brésil. Rien qu’en Suisse, quelque 200 comptes bancaires sont concernés.
«Cette affaire est tellement énorme qu’elle atteint le seuil critique de ce qu’une autorité de poursuite suisse peut assumer, explique un proche du dossier. Il faudrait trois, quatre, cinq, six procureurs, or il n’y en a qu’une.» Cet hiver, Alice de Chambrier a repris seule cette enquête tentaculaire: elle est le troisième procureur à s’occuper du dossier en trois ans (le MPC précise que ses procureurs sont entourés d’une équipe d’enquête comprenant d’autres procureurs, des analystes et des policiers).
«Le MPC n’est pas outillé pour ce dossier, ni en nombre de procureurs, ni en moyens informatiques, ni en capacités d’analyse», ajoute une autre source. Qui relève que contrairement aux enquêtes FIFA ou Petrobras, la justice suisse n’a qu’une aide limitée à espérer de l’étranger. La Malaisie prétend qu’il n’y a eu aucun problème avec 1MDB, le fonds souverain ne s’est plaint d’aucune malversation.
En face, PetroSaudi est prête à investir de gros moyens dans sa défense. La société fait aussi valoir un argument potentiellement embarrassant pour les enquêteurs suisses. Si le scandale 1MDB a éclaté, c’est grâce à un vol de données chez PetroSaudi. Or si le dossier du MPC repose sur des données volées, cela pourrait invalider toute l’enquête, au nom du principe dit du «fruit empoisonné». Ce point est suffisamment délicat pour qu’un autre procureur soit désormais chargé d’examiner sa validité.
Vu la complexité de l’affaire, il semble logique que le MPC et PetroSaudi discutent pour aboutir à une condamnation négociée. En droit suisse, cela s’appelle une procédure simplifiée: l’accusé reconnaît certains faits et accepte de se faire condamner, par exemple à une amende, en échange d’une certaine clémence. Et d’un procès réduit à sa plus simple expression – une audience rapide qui valide l’arrangement.
Plusieurs sources confirment que ce scénario est bel et bien en train de se dessiner. «Il y a une grande probabilité que cette affaire se règle à un moment donné, mais il faut que les étoiles soient alignées et on n’en est pas encore là», indique l’une d’elles.
Une enquête de dix ans?
En effet, nul ne sait quelles infractions les dirigeants de PetroSaudi seraient prêts à reconnaître. Les discussions en vue d’une peine négociée pourraient durer des mois. Si elles n’aboutissent pas, le dossier risque de s’éterniser: «Une telle enquête pourrait durer huit-dix ans, sans garantie de succès», pronostique un proche du dossier.
A moins, bien sûr, que la Malaisie coopère et admette que le fonds 1MDB a vraiment été pillé. Pour cela, il faudrait que le premier ministre, Najib Razak, perde l’élection du 9 mai.
On n’en est pas encore là. Mardi, depuis Kuala Lumpur, le fonds 1MDB a réagi aux développements de la procédure helvétique en demandant à «toutes les parties de s’abstenir de politiser une éventuelle enquête suisse».
«Cette affaire est tellement énorme qu’elle atteint le seuil critique de ce qu’une autorité de poursuite suisse peut assumer»
UNE SOURCE PROCHE DU DOSSIER