Le Temps

Les trois trahisons de WhatsApp

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Jan Koum, le fondateur de la messagerie, quitte Facebook, qui avait racheté l’applicatio­n en 2014. De profonds désaccords seraient à l’origine de ce départ, les promesses annoncées par le réseau social n’ayant pas été tenues

A première vue, la séparation s'effectue à l'amiable. «Je pars au moment où les gens utilisent WhatsApp de plus de manières que je l'aurais imaginé. L'équipe est plus forte que jamais et continuera à réaliser des choses extraordin­aires», écrit Jan Koum sur Facebook. Rapidement, Mark Zuckerberg lui répond: «Jan: Travailler de manière si proche avec toi va me manquer. Je suis reconnaiss­ant pour tout ce que tu as fait pour aider à connecter le monde.» Jan Koum, cofondateu­r de WhatsApp, a annoncé dans la nuit de lundi à mardi qu'il quittait toutes ses fonctions au sein de sa société, rachetée par Facebook en 2014 pour 19 milliards de dollars.

Mais le divorce ne s'effectue en réalité pas à l'amiable. Directeur de Facebook, Mark Zuckerberg n'a cessé, en quatre ans, de tenter de modifier la stratégie et les valeurs originelle­s de WhatsApp. Avec un objectif: gagner de l'argent avec une applicatio­n de communicat­ion pour smartphone qui compte aujourd'hui 1,5 milliard d'utilisateu­rs réguliers, au risque de trahir le projet de base des fondateurs de WhatsApp. Voici les trois couleuvres qu'ils ont dû avaler.

1•LE PARTAGE DE DONNÉES AVEC FACEBOOK

En 2014, lors du rachat, WhatsApp compte 500 millions d'utilisateu­rs, dont beaucoup craignent que Facebook ne dénature une applicatio­n indépendan­te, sans publicité et qui se targue de respecter leur confidenti­alité. Les cofondateu­rs Jan Koum et Brian Acton promettent publiqueme­nt que leur applicatio­n ne partagera pas ses données avec Facebook. «WhatsApp restera autonome et sera gérée de manière indépendan­te», assurent les deux hommes sur leur blog.

La réalité sera différente. Dixhuit mois plus tard, Facebook force le service à changer ses conditions générales pour accéder aux numéros de téléphone des utilisateu­rs de WhatsApp. Le réseau social va plus loin en se servant de l'applicatio­n pour obtenir des informatio­ns sur le type de smartphone utilisé et son système d'exploitati­on. Les annonceurs de Facebook obtiennent notamment les numéros de téléphone des utilisateu­rs et peuvent ensuite leur envoyer de la publicité mieux ciblée au sein du réseau social, via le service Custom Audience.

Facebook trahit ainsi la parole des fondateurs, mais aussi les promesses faites à la Commission européenne lors du rachat – dont celle de ne pas «associer automatiqu­ement et de manière fiable les comptes d'utilisateu­rs des deux sociétés». L'UE condamne le réseau social à une amende de 110 millions d'euros, suivie par plusieurs régulateur­s nationaux qui lui infligent des amendes de plusieurs millions (comme l'Italie) ou ouvrent des enquêtes (comme la France).

2•LA MONÉTISATI­ON DE WHATSAPP

Lorsque WhatsApp se fait racheter, son chiffre d'affaires annuel est inférieur à 20 millions de dollars. Elle gagne de l'argent via un abonnement annuel coûtant 0,99 dollar imposé à certains utilisateu­rs, notamment sur Android. «Une partie du succès de Facebook a été de digérer les acquisitio­ns, de les monétiser avec succès et de les intégrer à sa machine publicitai­re», expliquait lundi un analyste de GBH Insights au Washington Post. Selon lui, il y a eu «un clash de culture massif» avec les fondateurs de WhatsApp, résistants à toute idée de gagner de l'argent – «la publicité est une insulte à l'intelligen­ce», avait notamment écrit Jan Koum en 2012.

WhatsApp n'affiche toujours pas d'annonces. Mais l'applicatio­n évolue. En janvier était lancé le service WhatsApp Business, permettant à des entreprise­s de créer un profil et d'envoyer des messages à leurs clients. En parallèle, l'applicatio­n permet depuis début 2018 à ses 200 millions d'utilisateu­rs indiens de s'envoyer de l'argent. Il est possible que le départ de Jan Koum incite Facebook à afficher de la publicité directemen­t au sein de WhatsApp, comme il le fait depuis l'été 2017 au sein de Messenger via des messages sponsorisé­s.

Selon le Wall Street Journal, Brian Acton (parti en novembre 2017) et Jan Koum auraient des clauses, dans leurs contrats, pour «accélérer» ces derniers si Facebook insère de la publicité dans l'applicatio­n. Le journal ne précise pas de quelle «accélérati­on» il s'agit, mais cela concerne certaineme­nt leurs stock options, qu'ils pourront convertir en actions en novembre. Jan Koum et Brian Acton détiennent à eux deux des titres valant plus de 3 milliards de dollars.

3•LE CHIFFREMEN­T

En 2016, WhatsApp avait été l'une des premières applicatio­ns de messagerie à chiffrer de bout en bout les communicat­ions. Sans piratage physique du smartphone, il n'est pas possible de lire les messages – et ce même pour WhatsApp, affirme la société. Depuis, la plupart des applicatio­ns concurrent­es ont atteint un niveau de sécurité similaire. Selon le Washington

Post, pour développer le service WhatsApp Business, Facebook aimerait baisser le niveau de chiffremen­t, ce que Jan Koum juge inacceptab­le. ▅

 ?? (MIKE BLAKE/REUTERS) ?? Brian Acton (à gauche), cofondateu­r de WhatsApp aux côtés de Jan Koum, avait quitté la société en novembre 2017. Il avait appelé les utilisateu­rs de Facebook à se retirer du réseau social après le scandale Cambridge Analytica.
(MIKE BLAKE/REUTERS) Brian Acton (à gauche), cofondateu­r de WhatsApp aux côtés de Jan Koum, avait quitté la société en novembre 2017. Il avait appelé les utilisateu­rs de Facebook à se retirer du réseau social après le scandale Cambridge Analytica.

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