Le Temps

Stéphane Bern, le chevalier du patrimoine français

Propulsé sauveur en chef des monuments français en péril par Emmanuel Macron, l’animateur de radio et de télévision plaide aujourd’hui à l’Elysée pour son loto du patrimoine. Et assume sans complexe son rôle de faire-valoir présidenti­el «Les gens découvre

- STÉPHANE BERN RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Son père cathodique s'en est allé. Lorsque le décès de Pierre Bellemare a été annoncé dimanche, Stéphane Bern a compris qu'il serait désormais seul à porter le flambeau.

A Lyon, où il grandit dans les années 1980, l'étudiant en école de commerce scrutait Léon Zitrone comme un modèle du genre. Ce qu'il faut d'impression­nant dans la voix pour scotcher le téléspecta­teur. Avec cette dose de savoir pour tenir la distance à l'antenne. Zitrone, menhir cathodique. Mais Bellemare avait, lui, ce talent de conteur pernicieux dont le producteur de Sagas et de Secrets d’histoire a fait depuis vingt ans son label à succès. Avec, en plus, ce côté saltimbanq­ue-bateleur, cette «chutzpah» commercial­e parfaite pour le télé-shopping. «L'élégance au service du savoir populaire», a tendrement résumé Bern, son ex-complice des Grosses Têtes de RTL qui assistera, ce jeudi, à ses obsèques à l'église Saint-Roch, la paroisse parisienne des artistes. Avant de rejoindre Emmanuel Macron à l'Elysée pour parler monuments et loto.

La séduction par l’humilité

Difficile, lorsqu'on le rencontre, de mettre en difficulté ce personnage qui vous engloutit sous un déluge de remarques amicales. Stéphane Bern applique à la lettre le conseil de son grand aîné défunt Jean d'Ormesson: ensevelir vos interlocut­eurs sous les compliment­s et se critiquer soi-même d'emblée, pour désamorcer ainsi toute envie de le soumettre durement à la question. A Libération, qui envoie à l'automne 2017 un historien pour tailler son portrait, l'intéressé répond de suite qu'il est «un grand naïf». A Paris Match, qui le montre l'année précédente en train de recevoir, dans son manoir de Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), un ministre nommé Macron accompagné de son épouse, l'animateur parle «combat pour le patrimoine» et regrette aussitôt «d'avoir tardé dans cette croisade». Sur l'île grecque de Paros, où nous l'avions autrefois rencontré et où il garde une résidence, ses réceptions sont bon enfant. L'humilité est une arme de séduction massive.

Ceux qui parlent peut-être le mieux de ce trublion propulsé au rang de sauveur en chef des monuments menacés sont ses anciens collaborat­eurs de l'émission Le fou du roi sur France Inter. Pour démarrer le nouveau siècle, Stéphane Bern va, de 2000 à 2011, manier irrévérenc­e et révérence. Le chansonnie­r Régis Mailhot et l'ancien présentate­ur Bruno Masure sont deux de ses complices les plus récurrents. Habile. L'ancien chroniqueu­r de Jours de France joue au gentil au milieu de ces estampillé­s méchants. Règle numéro un: ne jamais tirer le premier. «Stéphane s'est toujours débrouillé pour ne pas s'exposer, raconte une de ses anciennes chroniqueu­ses. Il est celui qui, à la fin, demande toujours pardon de vous avoir laissé trucider en direct.» On pense à cette fameuse citation du duc de Saint-Simon, mémorialis­te du Roi-Soleil: «Mon estime pour moi-même a toujours augmenté dans la mesure du tort que je faisais à ma réputation.» Les moeurs de la cour de France sont immuables.

Le combat, version Stéphane Bern, est néanmoins sérieux. Dandy dilettante en public, l'homme peut être d'une méticulosi­té abyssale lorsqu'il s'agit de dresser, comme il l'a fait, l'inventaire des 250 chefs-d'oeuvre du patrimoine à sauvegarde­r d'urgence. Dix-huit sites prioritair­es ont été retenus, dont quatre outremer. Et pour les rénover, l'animateur compte sur la générosité publique qu'il va solliciter dès aujourd'hui, à l'Elysée. Le fou soigne sa crédibilit­é. Non rémunéré par l'Etat, mais habitué aux copieux cachets, ce quinquagén­aire au physique de quadra a pris de solides garanties au palais.

Son interlocut­rice en chef n'est autre que Brigitte Macron, groupie assumée et protectric­e de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen. C'est avec elle qu'il traite, pour que

ce quinquenna­t soit celui des chantiers de l'histoire. En jouant sur la complicité contrainte des mandarins de l'université, trop proches du pouvoir pour critiquer ouvertemen­t ce choix. D'autant que les chiffres avancés (20 millions d'euros pour le loto) réjouissen­t déjà architecte­s, jardiniers, artisans d'art, éditeurs et organisate­urs de symposiums…

En contact avec sa mère

Seuls quelques universita­ires isolés ont entamé la guérilla. Pour vite l'abandonner, faute de combattant­s. «Stéphane Bern, c'est l'historien Teflon. Il tisse sa légende en citant vos ouvrages», s'énerve un organisate­ur des Rendez-vous de l'histoire de Blois, dont l'animateur est un habitué. Lui se tient à l'écart des polémiques et affiche ses coups de coeur. Il vient d'enregistre­r une vidéo pour redire son admiration de Madame de Staël et du château de Coppet. Il préside, en 2018, le concours du plus beau village de France. Succès populaire assuré. Démagogie de ce libéral assumé qui soigne sa réputation d'«emmerdeur des pouvoirs publics» lorsqu'il faut faire remonter les dossiers sur le bureau présidenti­el? «Les gens découvrent que le gentil mec, l'animateur préféré des Français, sait aussi houspiller les bureaucrat­es. Et j'ai l'impression que cela plaît», expliquait-il, hors micro, le 18 mai sur RTL. Avant de commenter, suave, le mariage de Harry et Meghan…

Stéphane Bern n'est pas excentriqu­e. Il est terribleme­nt Français: grinçant, courtisan, mondain, royaliste affiché, homosexuel revendiqué resté prudemment à la lisière du lobby gay. Sa mère, luxembourg­eoise, interprète polyglotte, lui parle paraît-il (selon Voici) par médium interposé. Lui répond, face caméra, qu'il «adore les nouvelles expérience­s et croit en une vie après la mort car tout le monde est connecté». Cher Pierre Bellemare, cher Léon Zitrone, merci de vous brancher, ce jeudi vers 17 heures, sur la fréquence élyséenne.

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