La retraite des policiers genevois au coeur d’une âpre bataille
Les citoyens sont appelés à se prononcer sur une modification de la loi sur la caisse de prévoyance des forces de l’ordre. Un sujet très technique qui déborde sur le terrain émotionnel
Les syndicats de police ont lancé une campagne d’affichage pour s’opposer au projet de loi.
Le coeur n’y était pas vraiment. Faire campagne sur le sujet très technique du financement d’un aspect de la retraite des policiers genevois est un exercice plutôt ingrat. A cela s’ajoute le récent recours des syndicats des forces de l’ordre contre la brochure de vote qui fait planer une incertitude sur l’agenda de ce scrutin prévu le 10 juin. Les partisans de la loi (PLR, PDC et Verts) ont pourtant maintenu mercredi une conférence de presse, sorte de service minimum, consacrée à cet enjeu qui ne passionnera peut-être pas les foules mais qui déchaîne certainement la colère des principaux concernés.
«On peut aimer la police et dire oui à cette loi», déclare d’emblée la députée Anne-Marie von Arx (PDC) comme pour souligner la part forcément émotionnelle du débat. Impossible en effet d’évoquer le sort de ces fonctionnaires pas vraiment comme les autres sans une certaine dose de dramaturgie. Il suffit de voir les affiches des deux bords pour s’en convaincre. «Soutenons la police, pas les criminels», «Ne tournez pas le dos à votre police», clame le camp des opposants. En face, c’est aussi un argument sécuritaire qui est brandi: «+ de police sur le terrain». Autant dire que la vérité est ailleurs.
Attaquée par référendum, cette loi met fin au paiement par l’Etat du rappel des cotisations en cas d’augmentation de salaire liée à une promotion ou une perception d’annuité. Ce système de rattrapage, qui permet au policier de toucher une pension de retraite très avantageuse équivalant à 75% de son dernier traitement, était jusqu’ici essentiellement financé par les caisses publiques. Si ce texte est approuvé, les policiers devront assumer euxmêmes l’entier des coûts, comme le font d’ailleurs les autres employés de la fonction publique. Ils pourront aussi choisir de ne pas payer ou de ne payer qu’une partie du montant de rappel, ce qui aura au final pour effet de diminuer l’augmentation de leur rente.
Inégalité de traitement
Venu défendre cette réforme au nom du PLR, le député Cyril Aellen souligne que celle-ci permettra à l’Etat d’épargner 2 à 3 millions de francs par année. Ce qui représente en moyenne 12 à 20 postes. Selon les promesses faites par le Conseil d’Etat, ces moyens seront affectés à la police. «Je conviens qu’il s’agit d’une décision politique et que celle-ci pourra être revue», nuance le député. Quel que soit le sort réservé à cette ligne budgétaire, les partisans
Impossible d’évoquer le sort de ces fonctionnaires pas vraiment comme les autres sans une certaine dose de dramaturgie
de la loi estiment qu’il est temps de mettre fin à l’inégalité de traitement entre fonctionnaires et balayent l’idée selon laquelle cette simple mesure mettrait en péril l’attractivité de la profession de policier.
Le camp très hétéroclite des opposants (MCG, UDC, PS, Ensemble à Gauche et les syndicats de police) est divisé dans son argumentaire. Pour Pablo Cruchon (EàG), il s’agit avant tout de combattre «le principe de la détérioration et de l’effritement des plans de prévoyance». Beaucoup plus corporatiste, le discours d’un François Baertschi (MCG) dénonce «la volonté d’attaquer la profession policière» avec une loi concoctée sans négociation aucune et dont les effets collatéraux risquent de peser sur le moral des troupes, voire de décourager les velléités de promotion.
Intimidations dénoncées
Les troupes justement, représentées par des syndicats remontés à bloc, battent le pavé pour convaincre les citoyens de ne pas valider cette intolérable ponction dans leur porte-monnaie. «Nous faisons campagne avec des affiches et des stands afin de rencontrer les gens et leur expliquer pourquoi il faut défendre ce régime particulier», précise Marc Baudat, président de l’Union du personnel du corps de police (UPCP). En résumé, le policier est confiné dans une profession où la prise de galons est essentielle. Toucher aux avantages de cette progression, par le biais du mécanisme de rattrapage, serait une manière de rendre le métier moins intéressant et de favoriser l’arrivée d’officiers venus d’«ailleurs».
Sur son site internet, le syndicat de la police judiciaire est encore plus virulent et décerne un «carton jaune» aux Verts qui auraient gonflé les chiffres et fait passer les policiers pour des nantis. Lors de cette même conférence de presse, Mathias Buschbeck (Vert) a eu l’occasion de dire son indignation face aux méthodes employées par les syndicats «pour empêcher les partis de s’exprimer». Le député, qui a reçu des courriers d’avocats, évoque des «tentatives d’intimidation». Les montants décriés, pourtant fournis par les syndicats eux-mêmes lors des travaux préparatoires, ont été retirés de la publication du parti par gain de paix.
Ce climat est également dénoncé par Vincent Maitre (PDC). Le député, opposé aux arguments de «ceux qui s’accrochent mordicus à des privilèges indus», relève la mauvaise foi des syndicats. «Ceux-ci jouent sur la corde sensible et font du chantage affectif alors qu’il n’est absolument pas question de réduire leur salaire ou de couper dans les budgets de la police», précise-il. Les urnes diront si cette manière de faire a porté ses fruits.
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