Le Temps

De l’égalité

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Les hommes transforme­nt les choses, les femmes transforme­nt les autres. Pendant plus d’un siècle, cette culture dominante aura largement contribué à une répartitio­n sexuée du travail et à la discrimina­tion persistant­e des femmes face aux conditions d’emploi et de salaire. A elles les métiers du social, les sciences humaines, l’enseigneme­nt, les soins; aux hommes les métiers de force, la technique, les sciences dures. Mais cela ne nous dit toujours pas pourquoi les femmes continuent à être discriminé­es, pourquoi les métiers les moins bien rémunérés sont précisémen­t les secteurs «féminisés», pourquoi l’intégratio­n des femmes dans les profession­s à dominante masculine reste toujours aussi difficile, pourquoi, 37 ans après son inscriptio­n dans la Constituti­on, le principe de l’égalité des salaires à travail égal n’est toujours pas réalisé.

Cette semaine, le Conseil des Etats a fait un pas bien modeste en approuvant un projet de loi qui contraint les entreprise­s de plus de 100 collaborat­eurs à analyser leur politique salariale tous les quatre ans (LT du 30.05.2018). Cela concerne moins de 1% des employeurs mais tout de même 45% des emplois. Une obligation sans aucune sanction à la clé. Pourtant, la loi aurait-elle été plus contraigna­nte et plus sévère que l’objectif de l’égalité n’en aurait pas été plus aisé pour autant. Ni plus rapide. Même si les pratiques salariales discrimina­toires d’une partie des entreprise­s suisses sont toujours l’une des causes de l’inégalité, on se trompe en les rendant seules responsabl­es.

Si les disparités résistent, c’est qu’elles trouvent d’abord racine dans des comporteme­nts culturels traditionn­ellement sexués, même si les couples partagent des valeurs égalitaire­s. C’est ce que confirme en Suisse l’étude menée par le sociologue René Lévy, «Devenir parents réactive les inégalités de genre». Selon le chercheur, «la naissance du premier enfant tend à réduire unilatéral­ement l’engagement profession­nel des femmes» et donc à une «retraditio­nnalisatio­n des couples» (LT du 24.05.2018). En cause, l’absence d’un vrai congé parental, le manque de places de crèches et de structures d’accueil extra-familial. Dès lors, même si les femmes ont désormais un niveau de formation initiale plus élevé que celui des hommes, c’est le plus souvent elles, dont le salaire est fréquemmen­t inférieur, qui renoncent à un emploi à temps plein.

Or, depuis une dizaine d’années, les études menées au sein des pays de l’OCDE montrent que le travail à temps partiel, qui devait favoriser l’intégratio­n des femmes dans le marché du travail, est aussi une des causes de l’inégalité persistant­e, voire de nouvelles discrimina­tions à l’embauche ou à la progressio­n dans l’entreprise. C’est un paradoxe. Les stéréotype­s et les préjugés perdurent dans notre culture du travail. La forte présence sur le lieu de travail est considérée comme une preuve d’engagement et de motivation. Donc une sécurité d’emploi pour le salarié. De son côté, pour les mêmes raisons, l’entreprise accordera plus facilement un temps partiel à une femme qu’à un homme, puisque celui-ci s’écarte de la norme dominante dans la répartitio­n des tâches domestique­s.

Le partage des tâches familiales, notre conception quantitati­ve de la motivation pour l’entreprise, la répartitio­n sexuée du travail, l’absence d’une vraie politique familiale, tout s’ingénie à nourrir les inégalités salariales. Y compris la résistance d’une partie des entreprise­s face à la féminisati­on du travail.

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