Le franc-tireur du PDC lâché par les siens
Les attaques véhémentes du président démocrate-chrétien contre Pierre Maudet consternent son parti. Certains pourraient demander, lundi, sa démission. Bertrand Buchs estime avoir été le garant des institutions
Faut-il qu’il soit amer pour avoir renoncé à la cérémonie de prestation de serment en la cathédrale Saint-Pierre. Faut-il qu’il soit isolé, Bertrand Buchs, président du PDC genevois, devenu depuis ses prises de position sur l’affaire Maudet le mouton noir de son parti. Celui qu’on blâme, celui dans le dos de qui on chuchote, celui qu’on châtie pour avoir à son tour trop châtié. «Ça m’a coûté de ne pas assister au discours de Saint-Pierre, confie-t-il. Mais j’aurais mis beaucoup de monde sur les pattes arrière.»
Lundi prochain, le comité directeur du PDC a rajouté un point à son ordre du jour: le cas Buchs et ses interventions intempestives contre un magistrat de l’Entente. Selon nos informations, certains pourraient demander sa démission de la présidence. Mais ne comptez pas sur les députés pour s’étendre. Comme dit Anne Marie von Arx-Vernon: «Au PDC, on lave notre linge sale en famille et après seulement, on cause.»
«Courageux, indépendant d’esprit»
Considéré comme le renégat de l’Entente, Bertrand Buchs se sait en mauvaise posture. Quand l’affaire du voyage de Pierre Maudet à Abu Dhabi éclate, il est l’élu de droite qui balance, remettant en question la désignation du conseiller d’Etat à la présidence. «C’est très gênant d’apprendre par la presse la position du parti, alors que nous n’en avons jamais discuté, s’énerve un élu PDC. Bertrand Buchs consulte peu et il n’a pas de filtre.» C’est à gauche qu’il faut aller chercher des soutiens. Président des Verts genevois, Nicolas Walder, qui a appelé à la démission de Pierre Maudet, estime que c’est un faux procès qu’on lui fait là: «Comme président de parti, on est interpellé avant que le parti ne se prononce. Bertrand Buchs est très courageux, indépendant d’esprit, d’une grande éthique.» Aurait-il fait pareil s’agissant d’un magistrat de gauche?
«Je pense que oui, si on nous avait dit circulez, il n’y a rien à voir.» Le socialiste Thomas Wenger, lui, émet une réserve: «Si Bertrand Buchs a le courage de ses opinions, on peut se demander si ses déclarations le représentent lui-même ou son parti.» Quoi qu’il en soit, les propos de l’impétueux ajoutent à la polémique. Ce qui naturellement fâche au PLR et méduse au PDC, y compris chez les militants. «C’est en effet le plus sûr moyen de faire voler l’Entente en éclats», s’alarme un élu. D’ailleurs, les messages d’excuses de démocrates-chrétiens marris pleuvent chez les poids lourds du PLR, tandis qu’on tente de raisonner le trublion.
«Son unique objectif est de faire parler de lui»
Mais rien n’y fait, puisque quelques jours plus tard, quand jaillit une nouvelle polémique sur le retour de Téhéran de Pierre Maudet dans le jet privé d’un patron genevois, Bertrand Buchs récidive. Pourquoi cette nouvelle envolée sur un sujet qui n’est tout de même pas aussi problématique que le voyage d’Abu Dhabi? «Téhéran, c’est rien, j’en conviens, répond aujourd’hui un Bertrand Buchs repentant. J’ai pris la parole sur l’entier de l’affaire.» Ce qui fait dire à un élu PLR: «Il peut jouer aujourd’hui les vierges effarouchées. Mais son unique objectif est de faire parler de lui.» En revanche, il ne se trouve personne pour prétendre que les coups de boutoir portés à Pierre Maudet constitueraient une mesure de rétorsion face à la non-élection du conseiller d’Etat PDC Luc Barthassat: «Chacun sait qu’il s’est perdu tout seul», résume Bertrand Buchs.
Ingérable, le provocateur bourru du PDC? Drogué à l’exposition médiatique? Ambitieux prêt à tous les coups? Ou trop honnête pour la politique? Autant de thèses suggérées par ses pairs, qu’on soumet à l’intéressé: «Ingérable, c’est vrai, mais un peu fort. Je préfère frondeur. Et romantique.» Cette épithète mérite explications: «Il faut savoir partir à l’assaut, même seul. Dans le cas Maudet, je me suis senti garant des institutions avant tout. Sinon, c’est la porte ouverte au populisme, qui naît de la défiance envers la classe politique. Je me serais tu si le Conseil d’Etat élu avait discuté du problème.» Il l’assure: à la direction du parti suisse, on ne comprend pas qu’il ne soit pas soutenu. Cela tombe bien: Bertrand Buchs vise désormais le Conseil national, là où, sur la santé, les choses se décident. Il doit quitter la présidence en septembre, à moins que ses coreligionnaires n’y mettent fin prématurément.
«Je ne veux pas d’un système Torquemada»
Pour l’instant, il a l’oreille basse, hésitant entre humeur chagrine et nette justification. Tout porte à croire que le médecin politicien place l’éthique au-dessus des loyautés partisanes. Mais la déontologie médicale ne vaut pas en politique, rétorquent ses détracteurs. Ils ajoutent que sa plus grande faiblesse est de se construire contre les autres. A bien y regarder, sa verve dénonciatrice ne procède sans doute pas tant que cela du calcul. Car il est désormais grillé au PLR.
Bertrand Buchs le sait, il n’en a cure. Ce qui l’afflige aujourd’hui, c’est la peur que ses collègues de parti ressentiraient devant un magistrat intouchable. «Je ne me bats pas contre Pierre Maudet, mais pour un principe», ajoute-t-il. Subtile distinction qui ne convainc pas Anne Marie von Arx-Vernon: «Bertrand Buchs un homme intègre. Mais ses attaques envers Pierre Maudet me paraissent incompréhensibles. Je ne veux pas d’un système Torquemada au PDC.» Entendez le retour de la Grande Inquisition. Reste à voir si le PDC pardonne le présumé péché d’orgueil. Ou s’il absout le franc-tireur.
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