Le Temps

Faut-il mentir à son patron à propos du futur?

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

«La prédiction est compliquée, surtout quand elle concerne l’avenir.» La formule est connue, mais elle s’applique encore plus à notre époque de transforma­tion perpétuell­e. Quand vous dirigez une entreprise, votre équipe ou vos supérieurs (qui n’en a pas?) vous demandent toujours: «Où allons-nous?» comme si vous le saviez. Premier constat, et quelle que soit votre activité: le phénomène n’est pas nouveau, même s’il interroge.

En effet, un leader doit-il s’imposer par sa capacité à avoir réponse à tout ou plutôt saisir le sens général de son action et tâtonner jusqu’à trouver ce qui marche? Je me souviens d’une interview de Federico Fellini dans laquelle il expliquait son désarroi face à une équipe de tournage lui demandant constammen­t: «Où met-on la caméra? Plus ou moins de lumière?», etc. Sans compter les caprices des acteurs. Le cinéaste italien pouvait paraître indécis, mais il figure bel et bien aujourd’hui au panthéon du cinéma.

Dans une entreprise, c’est pire. D’ailleurs, de grands noms se sont révélés de bien piètres prévisionn­istes, comme le rappelait Jacques Savoy, de l’Uni de Neuchâtel, dans un séminaire sur les fake news organisé cette semaine à Genève. Même Steve Jobs, gourou des gourous, s’est parfois fourvoyé. «Le modèle d’affaires de l’abonnement pour la musique est fini», avait-il lancé en 2003. Spotify en rit encore. Et en 2018, faut-il miser sur l’intelligen­ce artificiel­le, la blockchain ou l’extraction de l’aluminium? Apple a depuis résolu l’équation en devenant tellement riche qu’elle peut investir dans tous ces secteurs.

Une CEO, nommée pour restructur­er une société en profondeur, m’avait confié un jour sa frustratio­n. Elle ne proposait que des plans d’économies qui avaient le don de fatiguer son entourage. Même son conseil d’administra­tion, qui avait adoré le dirigeant qui l’avait précédée. Ce dernier envisageai­t toujours l’avenir avec confiance. Il aimait planter sur la mappemonde de l’entreprise des petits drapeaux rouges sur chaque pays ouvert. A la fin, ce CEO imprudent avait fait perdre des dizaines de millions à la société et il fut licencié brutalemen­t. Mais ses interlocut­eurs avaient pris goût au story telling du succès, même si celui-ci n’avait pas été au rendez-vous.

Alors, faut-il mentir à son patron et lui dessiner un avenir radieux même si les nuages pointent? Bill Gates a déclaré en 2004 que nous en aurions tous fini avec les spams d’ici à deux ans. Personne ne sait si le patron de Microsoft arrangeait la vérité pour calmer ses actionnair­es ou s’il avait une vision clairement trop naïve du futur. Mais comme ni vous, ni Steve Jobs, ni Bill

Gates ne pouvez prédire ce qui va venir, autant tâtonner, non?

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