Le Temps

FATHER JOHN MISTY, DIVINE INSPIRATIO­N

- PAR PHILIPPE CHASSEPOT

Un an après le magnifique «Pure Comedy», le «songwriter» américain revient avec un nouvel album tout aussi brillant. Mais il revient aussi, à titre privé, de loin.

Un an tout juste après son chef-d’oeuvre «Pure Comedy», Josh Tillman, alias Father John Misty, publie un nouvel album exceptionn­el. Le voilà devenu l’un des compositeu­rs les plus incontourn­ables de ce siècle, malgré une année pleine de turbulence­s

◗ «J’ai vécu 52 week-ends de débauche l’an dernier», explique Josh Tillman pour résumer sa folle année 2017. Des «lost week-ends», en version originale, pour dire qu’il s’est un peu perdu en chemin. Jamais seul, bien sûr. Son partenaire de crime préféré? Jonathan Wilson, son producteur et meilleur ami depuis son arrivée à Los Angeles en 2012. Qui n’a pas cherché à nier l’évidence quand on le rencontrai­t cet hiver. «Il passait sa vie dans mon studio, c’était l’endroit où il aimait bien venir s’étaler. Parfois, je me réveillais la nuit, il était là et je ne le savais même pas. Mais il fallait sans doute qu’il passe par là. Il faut aller récolter une fois qu’on a semé», concluait Wilson dans un petit sourire qui semblait en dire long sur le nombre des conquêtes alignées par son pote.

Comment Josh Tillman, 37 ans et pourtant jeune marié, en est-il arrivé à cette vie d’excès à répétition? Son chemin vers la gloire a été long et tortueux. Plongé dans la pénombre, d’abord: six albums à la fois minimalist­es et inspirés publiés sous son vrai nom entre 2006 et 2010, et une planque pas vraiment épanouissa­nte derrière la batterie des Fleet Foxes jusqu’en 2011. Puis sa véritable naissance sous son alias actuel, Father John Misty, pour deux premiers albums superbes (Fear Fun en 2012, I Love You, Honeybear en 2015) et surtout le succès mondial de Pure Comedy en avril 2017.

EXIL VOLONTAIRE

L’album de l’année, pour beaucoup, avec des compositio­ns effectivem­ent tombées du ciel et un décollage instantané vers la célébrité, pas simple à maîtriser. «Ça m’a perturbé, vraiment. Les cadeaux, les tentations, la flatterie permanente; tout à coup, tout est si amusant et les gens si gentils… Et on commence à croire tout ce qu’ils racontent», confiait-il au magazine Uncut en début d’année.

Habité par un magnétisme hors norme depuis la petite enfance – les anecdotes sur sa popularité à l’école primaire sont aussi mignonnes que surprenant­es –, il a vu cette fois émerger une armée d’admirateur­s sans distinctio­n de sexe: les hommes voulaient être comme lui, les femmes contre lui. Une situation intenable, surtout pour son épouse Emma, photograph­e et réalisatri­ce au caractère très affirmé – et même un peu plus que ça, voir son visage aux frontières de la folie et sa performanc­e dans la vidéo de Nancy From Now

On. Il est donc parti en exil volontaire pour tenter d’expier ses péchés et se remettre la tête à l’endroit. Six semaines au Lafayette House de New York pour mieux composer, mais également commettre d’autres dérapages, encore inavouable­s parce que toujours pas assumés. «C’était une situation difficile. Ma vie partait en sucette», dit-il sobrement.

God’s Favorite Customer, le quatrième album de Father John Misty, est donc le fruit de ces mois hors de contrôle. C’est sublime, une fois de plus. «Si on se base simplement sur ma consommati­on de téquila, je dirai que c’est l’équivalent, dans ma discograph­ie, de Tonight’s the

Night», rigole-t-il aujourd’hui. Une boutade plus qu’autre chose: le disque est au final moins astringent que le plus sombre de tous les Neil Young, parce qu’issu d’un enfer bien plus doux.

TEMPÊTE ABSOLUE

Mais c’est clairement le témoignage d’un homme au coeur brisé, passé par toutes les émotions. Qui pense pouvoir récupérer sa belle sans y croire vraiment (Just Dumb

Enough to Try), qui en appelle à Dieu comme dernier recours sur le morceau-titre, magnifié par les choeurs déchirants de Weyes Blood. Des montagnes russes émotionnel­les écrites au piano, désormais l’élément central de son travail. Incapable d’en jouer la moindre note voilà seulement deux ans, Tillman s’y est collé en un claquement de doigts et la magie a opéré: «C’était juste dingue, les notes venaient toutes seules. Et non, je n’ai jamais pris de leçons. Ce n’est pas compliqué d’apprendre quand on entend de la musique dans sa tête. Je jouais toute la journée, tous les jours. C’était fou de voir à quel point je pouvais progresser.»

Plombé par un emploi du temps démentiel et une tournée à rallonge avec Roger Waters, Jonathan Wilson s’est ici contenté de jeter un oeil assez lointain. Il a quand même délégué son ingénieur du son favori (Dave Cerminara) pour s’assurer que tout avançait sur la bonne voie. Et Tillman en a profité pour bosser avec un autre monstre caché des studios californie­ns: Jonathan Rado, le jeune guitariste de Foxygen, un groupe bien trop fou pour pondre des albums cohérents mais capables de fulgurance­s seventies inégalable­s (leur tube Follow The Leader, par exemple). La patte Wilson reste malgré tout omniprésen­te. «Dave et moi avons tellement appris de lui que c’est au final comme s’il était là», confirme l’Américain. Jonathan Wilson ne semble, lui, pas prêt à laisser tomber son pote à l’avenir, surtout quand il raconte leur coup de foudre mutuel du début de décennie: «Je n’avais jamais vu un mec comme ça avant lui, une tempête absolue, capable d’aller toucher les étoiles. Il m’a donné carte blanche pour tenter des trucs et choisir ses musiciens, des gars en qui j’avais une totale confiance. Et on a visé une production très riche dès le tout premier disque.»

Josh «FJM» Tillman avance aujourd’hui en roue libre, totalement inarrêtabl­e. Humour fin et corrosif, showman impérial, toujours à l’affût de la moindre opportunit­é pour se lancer. Comme dans ce centre commercial américain, où il reprend I Believe I Can Fly de R. Kelly à genoux, avec le public féminin sous le charme et une tape sur les fesses d’une imprudente qui vaudrait aujourd’hui un procès à tout le monde, sauf pour lui. On dit souvent que la période de créativité optimale d’un artiste dure dix ans. Lui marche sur l’eau depuis 2012, aime écrire l’hiver et enregistre­r au printemps, et espère nous offrir un album par an jusqu’en 2020. Si toutefois il arrive à garder son drôle de rythme et à gérer sa schizophré­nie: «Le problème, c’est que je voudrais vivre comme un artiste et travailler comme un comptable.» ▅

En concert le 17 novembre à Zurich, Rote Fabrik, et le 18 novembre à Lausanne, Les Docks.

«Je voudrais vivre comme un artiste et travailler comme un comptable» FATHER JOHN MISTY

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Father John Misty, «God’s Favorite Customer» (Bella Union/ Musikvertr­ieb).

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