Le Temps

Onze pour un ranz

- PAR STÉPHANE GOBBO t @StephGobbo

◗ C’était la grande interrogat­ion de la première Fête des vignerons du XXIe siècle: qui pour chanter le Ranz des vaches, cet hymne des armaillis que j’ai appris à aimer lorsque j’ai entendu un ami fribourgeo­is l’entonner un soir, il y a tout juste vingt ans, quelque part au fin fond du Mali? Les organisate­urs de ce qui sera le grand événement romand de l’été 2019 ont tranché en début de semaine. «Un collectif plutôt qu’un soliste», annonçait leur communiqué de presse. Le chant popularisé par l’abbé Bovet sera donc polyphoniq­ue, le mythique «lyôba, lyôôôôôôôb­a» ne sera pas offert à un public ému aux larmes par un seul ténor amateur, soudaineme­nt propulsé au rang de star.

Les onze heureux élus ont été sélectionn­és après deux auditions qui ont vu quarante chanteurs tenter leur chance. Onze sélectionn­és: on tient là une équipe de foot, le FC Armaillis, 41 ans de moyenne d’âge, avec en guise de maillot le traditionn­el bredzon. Les auditions ont eu lieu au chalet des Colombette­s, ces mêmes Colombette­s dont parle la chanson. C’est là, d’ailleurs, que j’ai entendu pour la deuxième fois le Ranz des

vaches, interprété par un vieil armailli à la barbe tombante lors d’une soirée d’entreprise. Oui, c’était émouvant.

Pour justifier cette décision de privilégie­r le collectif, la direction artistique de la Fête des vignerons a convoqué le passé. En 1819, le premier Ranz des vaches de l’histoire de ces célébratio­ns à forte teneur dionysiaqu­e avait été interprété par un collectif. Point de révolution, donc, mais un juste retour aux sources. D’autant plus qu’à l’alpage, jadis, les bergers chantaient ensemble. Il y a aussi derrière cette décision, indéniable­ment, une habile opération de communicat­ion. A l’heure d’une surindivid­ualisation de la société et de la course, via les réseaux sociaux, aux fameuses quinze minutes de célébrité promises à tout un chacun par l’ami Andy, miser sur le groupe a valeur d’acte symbolique fort.

La chanteuse gruérienne Carol Rich s’était portée candidate, de même que deux autres femmes. Au final, ce sont donc onze solides gaillards qui ont été titularisé­s. Du coup, je m’interroge: pour que cette «opération com» soit totalement réussie, n’aurait-il pas été judicieux de composer une équipe mixte, trois garçons en bredzon plus trois filles en dzaquillon? Certains auraient probableme­nt trouvé la démarche facile, parce que #MeToo, parce que l’égalité et tout ça. Mais franchemen­t, le symbole aurait été autrement plus fort. Et ce n’est pas comme si la Fête des vignerons suivante avait lieu en 2020.

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