Le Temps

Quelques pistes pour faire baisser les primes maladie

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

«Un nombre toujours plus important d’assurés ne parviennen­t plus à payer leur primes maladie et le taux de gens qui déclarent renoncer aux soins pour des raisons financière­s a explosé.» Pierre-Yves Maillard dresse un constat accablant sur le système de santé suisse, qu’il estime à bout de souffle. Comment alléger un fardeau qui pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages? Le ministre vaudois de la Santé et de l’Action sociale suggère quelques pistes.

Les primes d’assurance maladie pèsent de plus en plus lourd dans le budget des ménages. Après la propositio­n de la CSS d’une franchise à 10 000 francs, c’est au tour du conseiller d’Etat vaudois de lancer de nouvelles idées. Il milite pour l’instaurati­on d’une caisse publique cantonale

Samedi 26 mai, plusieurs manifestat­ions ont eu lieu en Suisse à l’appel du groupe de lutte contre la hausse des primes d’assurance maladie. Y compris à Lausanne, où les mécontents sont nombreux. En réponse aux problèmes de la loi sur l’assurance maladie, PierreYves Maillard, ministre vaudois de la Santé et de l’Action sociale, plaide pour un investisse­ment accru de l’Etat dans le secteur. Récemment, dans les Grisons, un homme est mort du sida, car il n’a pas pu acheter son traitement. Il était sur liste noire, parce qu’il avait des dettes vis-à-vis de son assurance maladie. Qu’est-ce que cela vous inspire? Lorsque l’établissem­ent de ces listes noires est apparu, suite aux modificati­ons légales de 2012, les cantons romands se sont tout de suite portés en faux. Ce dont nous avions peur, notamment, c’était qu’il y ait des drames. Tout simplement. L’exemple que vous citez montre que ces craintes étaient justifiées. Cet événement va naturellem­ent interpelle­r les neuf cantons qui ont mis en place cette pratique et rouvrir le débat au sein de la conférence des cantons. Mais entre Romands et Alémanique­s, les cultures et les choix de politique sociale sont différents.

Si un citoyen vaudois ne paie pas ses primes et qu’il tombe malade, que va-t-il se passer? Les profession­nels de la santé n’ont pas à savoir si un malade est aux poursuites ou pas. Donc ils doivent le prendre en charge dans tous les cas. Ce citoyen sera soigné.

Mais qui paiera la facture? Au bout du compte, c’est le canton. Une fois que l’assureur a mis l’assuré aux poursuites et que l’acte de défaut de bien est formalisé, le canton paie 85% de l’arriéré. Le reste est à la charge de l’assureur, qui reste propriétai­re de la dette. En théorie, la seule conséquenc­e pour l’assuré, c’est qu’il est bloqué chez l’assureur. Il ne peut pas en changer tant qu’il n’a pas payé son dû.

Les gens s’acquittent-ils souvent de leurs dettes auprès des assurances maladie? C’est rare, parce que les assureurs sont très peu motivés à recouvrir leurs dettes étant donné que le canton les paie. Et aussi parce que lorsqu’on tombe dans la précarité, il est difficile de retrouver rapidement une bonne santé financière. Si l’assuré rembourse, le canton récupère 50% de cette somme. En 2016, nous avons récupéré 2 à 3 millions de francs, soit environ 6% de ce que l’on paie aux assurances…

Au total, quels sont les montants payés par le canton pour le contentieu­x aux assurances? En 2017, nous avons versé 44, 2 millions aux assurances maladie pour le compte de citoyens aux poursuites. C’est en légère diminution depuis l’année dernière mais tendanciel­lement, il s’agit clairement d’une augmentati­on.

A cela s’ajoutent les subsides payés aux assurés vaudois qui n’ont pas les moyens de financer leurs primes tout seuls. De quelles sommes parlet-on? Au budget 2018, on parle de 640 millions de francs. C’était 260 millions il y a 10 ans. Cette explosion est due à l’augmentati­on du nombre de bénéficiai­res, mais aussi au fait que les subsides suivent l’augmentati­on des primes, ce qui est également une volonté politique de notre part.

Quelle proportion cette enveloppe représente-t-elle dans les finances cantonales? Une partie de cette somme est payée par la Confédérat­ion, une autre par les communes. Il reste à notre charge environ 300 millions par an, soit 3% des dépenses globales de l’Etat. Vaud est le canton qui verse le plus de subsides par habitant de toute la Suisse. Il y a dix ans, nous étions tout en bas de l’échelle.

Deux Vaudois sur cinq qui pourraient bénéficier de subsides ne le demandent pas. Une pétition a été lancée pour qu’ils la reçoivent automatiqu­ement. Qu’en pensez-vous? On doit faire mieux en termes d’informatio­n auprès des bénéficiai­res potentiels. Nous préparons un système de demande en ligne où les gens peuvent facilement déposer leur demande et calculer leurs droits. Mais donner des subsides automatiqu­ement sur la base de la déclaratio­n fiscale qui décrit la situation d’il y a deux ans poserait des difficulté­s. Les situations peuvent avoir fortement changé et on pourrait donner des aides substantie­lles à des gens qui ne les ont pas demandées et qui n’en ont pas besoin.

«Les citoyens prennent des franchises élevées pour payer des primes plus basses, mais le résultat, c’est qu’ils ne vont plus consulter s’ils sont malades»

Un nombre croissant d’habitants ne parviennen­t plus à payer leurs primes d’assurance maladie... Le système est à bout de souffle. La meilleure preuve est un indicateur statistiqu­e publié par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), celui du taux de renoncemen­t aux soins pour des raisons économique­s. Il y a 10 ans, la Suisse était parmi les pays de l’OCDE les mieux placés. Aujourd’hui, nous sommes celui qui a le plus régressé. Le taux de gens qui déclarent avoir renoncé aux soins pour des raisons financière­s a tout simplement explosé et il est maintenant de 25%. Les citoyens prennent des franchises élevées pour payer des primes plus basses, mais le résultat, c’est qu’ils ne vont plus consulter s’ils sont malades. On nous a dit que cette

«A partir de l’année prochaine, le citoyen vaudois pour lequel une prime d’assurance moyenne dépassera les 10% de son revenu net recevra des aides cantonales afin de maintenir ce taux au-dessous des 10%», explique Pierre-Yves Maillard.

«La volatilité des primes d’un assureur à l’autre, d’une année à l’autre, n’est plus défendable quand leurs coûts sont arrivés à un tel niveau de souffrance pour les gens»

franchise était faite pour inciter les gens à moins avoir recours aux soins bagatelles. Si tel avait été le cas, nous aurions vu les coûts de la santé baisser, or ce n’est pas le cas.

C’est pour cette raison que vous êtes opposé à l’idée de la CSS d’émettre une assurance avec une franchise à 10 000 francs? Bien entendu. Je note au passage que la CSS a modéré ses propos en disant qu’elle supposait que les cantons rembourser­aient, avec les économies faites sur les subsides, une partie de ces 10000 francs pour les assurés à revenu modeste. Dès lors, on ne peut plus parler de franchise. Cela revient à transforme­r la LAMal en assurance pour les cas lourds et à ouvrir la voie à une forme d’assurance sociale cantonale. Il faudrait alors établir une contrainte pour les cantons, sinon on risque une casse sociale majeure, avec une exclusion de l’accès aux soins pour une forte proportion de la population.

Quelles sont les solutions que vous proposez? Dans le canton de Vaud, nous avons négocié des contrepart­ies sociales en échange de la

réforme fiscale des entreprise­s. C’est du concret: à partir de l’année prochaine, le citoyen pour lequel une prime d’assurance moyenne dépassera les 10% de son revenu net recevra des aides cantonales afin de maintenir ce taux en dessous des 10%. Ce sera une forte redistribu­tion de pouvoir d’achat à l’intention des revenus modestes à moyens. Le canton deviendra un acteur à part entière du système d’assurance maladie et devra lier son sort à celui des assurés au sujet de l’augmentati­on des coûts.

Le Parti socialiste suisse est d’ailleurs en train d’élaborer une initiative visant à généralise­r cette mesure à l’échelle fédérale.

Oui, et je le salue. Le débat est enfin relancé par des initiative­s populaires. Il y a aussi l’initiative pour la création de caisses cantonales. Nous avons jusqu’en avril 2019 pour récolter suffisamme­nt de signatures. En Suisse romande, les choses avancent bien, mais nous manquons de relais en Suisse alémanique. Il faut convaincre les grands partis nationaux. Nous entamerons le débat lors de l’assemblée des délégués du PS en juin prochain.

Comment fonctionne­rait cette caisse cantonale?

L’un des problèmes rencontrés est la volatilité des primes d’un assureur à l’autre, d’une année à l’autre. Ce chaos n’est plus défendable quand les primes sont arrivées à un tel niveau de souffrance pour les gens. A cause de ce système, chaque année, une proportion importante d’assurés subit des hausses des primes de plus de 10%, ce qui est bien supérieur à la croissance des coûts de la santé. C’est lié à des mécanismes absurdes où les assurés changent de caisse sans que leurs réserves suivent et où la sélection des risques demeure la règle… Mutualiser l’encaisseme­nt des primes permettrai­t de diminuer les coûts de fonctionne­ment. La prime serait la même pour tous les assurés en fonction de leur franchise. Et les assureurs privés traiteraie­nt les tâches administra­tives que l’institutio­n publique leur confierait.

Quel rôle les salaires des médecins jouent-ils dans l’augmentati­on des coûts de la santé?

Le système Tarmed permet d’optimiser certains revenus.

Par exemple, quand les positions tarifaires des spécialist­es ont baissé de 10%, cette baisse a été entièremen­t compensée notamment par l’augmentati­on de facturatio­n de ladite «prestation en l’absence du patient». Si je résume, leurs actes médicaux étaient moins chers, du coup ils en faisaient plus.

Cela a débouché sur de nouvelles décisions du Conseil fédéral pour empêcher ces pratiques, ce qui pénalise les nombreux médecins qui facturaien­t honnêtemen­t ces prestation­s. Il faut sortir de ce cercle vicieux et évoluer vers des systèmes de rémunérati­on plus simples et plus justes. On y arrivera si une institutio­n neutre et contrôlée démocratiq­uement participe à la fixation des règles, qui ont été trop longtemps abandonnée­s aux blocages des acteurs privés.

Vous avez déclaré: «Laisser tous les médecins européens libres de s’installer en Suisse, c’est risquer l’explosion du système de santé suisse.» Pourquoi?

Contrairem­ent à ce que l’on pourrait penser, l’augmentati­on du nombre de médecins ne donne pas lieu à une baisse des tarifs qui serait liée à la concurrenc­e. En réalité, il existe une corrélatio­n entre le nombre de praticiens et l’évolution des coûts. Le nombre de médecins a augmenté de 15% entre 2013 et 2016 dans le canton de Vaud. Et les coûts ont aussi pris l’ascenseur. Chez les médecins praticiens, installés en nombre ces dernières années, les facturatio­ns sont plus élevées que chez des généralist­es installés ici depuis longtemps – 20% de plus, selon les données dont nous disposons.

Parmi les médecins praticiens se trouvent beaucoup d’étrangers, notamment de Français. Ils sont plus chers? Comment l’expliquez-vous?

Difficile à dire. Quand on s’installe et que le nombre de patients n’est pas encore suffisant, on produit une facturatio­n qui vise à couvrir les coûts, j’imagine. La facturatio­n Tarmed laisse une immense latitude aux praticiens. Et les assureurs n’intervienn­ent que si les coûts du médecin se situent 25% au-dessus de la moyenne.

 ?? (YVES LERESCHE) ??
(YVES LERESCHE)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland