Le Temps

Un homme d’images dans une ville d’images

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Pour Luc Debraine, «parler de la photograph­ie, c’est une manière de parler de nous». Ce journalist­e vaudois, collaborat­eur du Temps, a été nommé à la tête du Musée suisse de l’appareil photograph­ique de Vevey. Il prend ses fonctions ce lundi, pour un mandat de deux ans. Rencontre avec un passionné d’images qui, à l’ère numérique, veut construire des ponts entre les pratiques d’hier et celles de demain.

Historien de l’art de formation, Luc Debraine a grandi au milieu des appareils photos de son père, Yves, qui immortalis­a Jean Tinguely et Charles Chaplin, entre autres.

Le journalist­e a été nommé à la tête du Musée suisse de l’appareil photograph­ique de Vevey. Il prend officielle­ment ses fonctions ce lundi, pour un mandat de deux ans. Rencontre avec un passionné qui a à coeur de dresser des ponts entre les pratiques d’hier et celles de demain

Il dit que «parler de la photograph­ie, c’est une manière de parler de nous». Au cours de sa carrière journalist­ique, Luc Debraine a amené aux divers titres pour lesquels il a travaillé – Le Nouveau Quotidien, L’Hebdo et Le Temps, dont il est encore un collaborat­eur régulier – une conscience de l’image. Historien de l’art de formation, il a été le premier à tenir une chronique régulière sur la photograph­ie, ce qui l’a notamment amené à proposer au Musée de l’Elysée, en 2007, le concept de l’exposition Tous photograph­es!, à travers laquelle il interrogea­it la mutation de la photo amateur à l’ère du numérique.

Ce printemps, le Vaudois passe définitive­ment de l’autre côté de la barrière: le voilà directeur du Musée suisse de l’appareil photograph­ique de Vevey. Il prend officielle­ment ses fonctions ce lundi, aboutissem­ent logique d’une passion qui remonte à très loin puisqu’il a littéralem­ent grandi au milieu des appareils de prise de vue.

Se frotter au monde

Luc Debraine est le fils du photograph­e Yves Debraine (1925-2011), qui fut proche de Jean Tinguely et Charles Chaplin, et dont on peut actuelleme­nt découvrir, à l’Espace Jean Tinguely-Niki de Saint Phalle de Fribourg, un reportage réalisé au milieu des années 1960 au mythique Chelsea Hotel de New York. S’il se familiaris­e très vite avec la photograph­ie, il n’imagine par contre pas en faire son métier, avouant préférer l’analyse à la pratique.

A l’Université de Lausanne, la rencontre avec le professeur Michel Thévoz sera déterminan­te. Sous sa direction, il réalise son mémoire de licence sur l’artiste d’art brut russe Eugène Gabritsche­vsky, avant de travailler à ses côtés au montage d’une exposition à la Collection de l’art brut. Il se voit alors décerner une bourse pour une spécialisa­tion à la Fondation Roberto Longhi de Florence. Une carrière académique s’ouvre à lui, mais au dernier moment, il renonce.

Intéressé par le journalism­e, conforté dans l’idée qu’il s’agit là d’un métier pour lui suite à un premier article publié dans L’Illustré au milieu des années 1980, Luc Debraine décide de se lancer et est engagé comme stagiaire à L’Est vaudois. «Il fallait que je sorte de ma coquille, que j’aille me frotter au monde, même s’il est rugueux, même si parfois ça fait mal», résume-t-il. Très rapidement, il commence à écrire sur la photograph­ie, ce qui ne se faisait guère à l’époque. Sa première chronique régulière, il la tiendra dans Le Nouveau Quotidien, ce journal qui de 1991 à 1998 réinventer­a le journalism­e culturel.

Du daguerréot­ype au numérique

A Vevey, Luc Debraine entend approfondi­r la réflexion menée dans le cadre de l’exposition Tous photograph­es!, observer au plus près les différents enjeux technologi­ques et esthétique­s actuelleme­nt à l’oeuvre. «Il s’agit de la révolution la plus profonde depuis les débuts de la photograph­ie il y a presque 200 ans», estime-t-il en commentant l’améliorati­on continue des fonctionna­lités de nos smartphone­s.

«Ce qui me fascine, c’est la manière dont une technique peut encourager et créer des pratiques. Un Cartier-Bresson, par exemple, n’aurait jamais pu devenir ce qu’il a été sans l’invention de ce tout petit appareil silencieux, qu’il pouvait emmener partout, avec lequel il pouvait danser, qu’est le Leica. Doisneau, qui était un timide, a eu, lui, le Rolleiflex, un appareil qui lui évitait de devoir regarder directemen­t les gens. Aujourd’hui, le téléphone portable, qui est à la fois un outil de communicat­ion et de prise de vue, a bouleversé tout ce qu’on croyait acquis, si bien qu’on ne sait plus très bien comment nommer la photograph­ie.»

Le nouveau directeur du Musée suisse de l’appareil photograph­ique souhaite faire de l’institutio­n, codirigée depuis 1991 par Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, un espace de réflexion et d’observatio­n. Un lieu vivant qui regarde à la fois derrière et devant. Il y a quelques semaines, dans le cadre des cours de culture visuelle et numérique qu’il donne à l’Académie du journalism­e et des médias de l’Université de Neuchâtel, il a organisé, dans les murs du musée veveysan, une rencontre entre ses étudiants et le photograph­e Niels Ackermann, venu expliquer pourquoi, lorsqu’il se rend dans des zones de conflit, il ne travaille plus qu’à l’aide de son téléphone. Et dans le même temps, un groupe d’Américains a récemment privatisé l’institutio­n pour un

«Ce qui me fascine, c’est la manière dont une technique peut encourager et créer des pratiques» «La couleur, c’est la vie, le réel; le noir et blanc adoucit les choses mais il les dramatise aussi»

atelier de trois jours consacré au daguerréot­ype, procédé photograph­ique mis au point à partir de 1835. Luc Debraine entend bien continuer à organiser des visites guidées, des séminaires, rencontres ou encore laboratoir­es lui permettant de dresser des ponts entre les pratiques d’hier et celles de demain.

Vignerons en couleur

Le Musée suisse de l’appareil photograph­ique propose deux exposition­s temporaire­s par an. L’été prochain, la très attendue Fête des vignerons lui permettra de mettre sur pied un accrochage pensé par le couple Yersin et qui, à travers des images d’archive, le verra se pencher sur une autre question qui le fascine, celle des rapports entre le noir et blanc et la couleur. «La Fête des Vignerons 1955 a marqué l’apparition de la couleur. Je souhaite faire dialoguer ce phénomène historique avec ce qui se passe aujourd’hui: alors que la couleur est une évidence, le noir et blanc est devenu un filtre, une applicatio­n utilisée a posteriori. J’aimerais pouvoir discuter du statut de la couleur, avec tout ce que cela implique aussi d’un point de vue psychologi­que. Tandis qu’elle montre le présent, le noir et blanc est devenu une sorte de machine à remonter le temps. La couleur, c’est la vie, le réel; le noir et blanc adoucit les choses, mais il les dramatise aussi.»

Engagé à 80%, Luc Debraine dirigera le musée lémanique jusqu’à l’été 2020. Il collaborer­a ensuite deux ans avec la nouvelle direction de la culture de la commune vaudoise comme chargé de projets, en lien avec le concept «Vevey, ville d’images».

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(SÉBASTIEN AGNETTI POUR LE TEMPS)

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