Le Temps

Le prix, arme à double tranchant des marchés publics

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

La loi sur les marchés publics doit être intégralem­ent révisée. Plusieurs associatio­ns se mobilisent pour que d’autres critères que les prix soient pris en considérat­ion

Jusqu'à quel point le prix doit-il être le critère déterminan­t pour l'adjudicati­on d'un marché public? Cette question sera au coeur des débats du Conseil national le 13 juin. Ce jour-là, la Chambre du peuple est appelée à réviser intégralem­ent les règles qui déterminen­t les offres publiques. En Suisse, une associatio­n de PME ainsi que les institutio­ns sociales se rebellent déjà contre ce qu'elles considèren­t comme une porte ouverte au dumping pratiqué par des concurrent­s étrangers.

La révision de la loi sur les marchés publics (LMP) vise à harmoniser le droit suisse fédéral et cantonal avec les règles de l'OMC. Une soumission publique est exigée pour les fourniture­s et les services à partir d'un montant de 230000 francs sur le plan fédéral et de 250000 francs à l'échelon cantonal. Pour les travaux de constructi­on, les seuils sont de, respective­ment, 2 millions de francs pour la Confédérat­ion et de 250000 francs pour les chantiers cantonaux du second oeuvre et de 500000 francs pour le gros oeuvre. Le volume des affaires soumises aux règles de concurrenc­e s'élève à 42 milliards de francs, dont près de 6 milliards pour l'administra­tion fédérale. Les enjeux sont donc importants.

La nouvelle loi établit une liste de critères dictant le choix du soumission­naire. Il y a bien sûr le prix et la qualité de la prestation, mais aussi les délais, la valeur technique, la rentabilit­é, l'esthétique, le développem­ent durable, la fiabilité du prix, la créativité, le service après-vente, les conditions de livraison, le caractère innovant, etc. Voilà pour la théorie.

«On ne parle que du prix»

Dans la pratique, c'est une autre affaire, si l'on en croit les appels lancés l'an dernier par Insertion Suisse et mardi par une associatio­n de PME qui se fait connaître sous le nom de «FairPlay marchés publics». «On ne parle que du prix et de jamais rien d'autre», s'emporte la conseillèr­e nationale Sylvia Flückiger-Bäni (UDC/AG), qui codirige une entreprise familiale de traitement du bois et siège au comité de l'Union suisse des arts et métiers (USAM).

Parce qu'elles doivent utiliser l'argent des contribuab­les avec parcimonie, les collectivi­tés publiques accordent en effet une grande importance aux prix. Sylvia Flückiger déplore que certains travaux tels que l'achat de fenêtres pour le Palais fédéral ou d'éléments de constructi­on pour un tunnel ou un bâtiment des CFF aient été confiés à des entreprise­s tchèques, chinoises, roumaines ou polonaises. «Cela ne peut plus durer. Nous avons en Suisse d'excellente­s PME qui exécuterai­ent volontiers ces travaux», s'étrangle-t-elle.

Elle se bat pour que le Conseil national fasse une fleur aux PME suisses dans la LMP révisée. Elle demande d'introduire un facteur de correction qui tiendrait compte des différence­s de niveau de prix d'un pays à l'autre, variations de taux de change comprises. Cette propositio­n n'a pas trouvé grâce devant la commission préparatoi­re du Conseil national. Sylvia Flückiger tentera de sensibilis­er le Conseil national le 13 juin. Elle s'appuie sur les témoignage­s de plusieurs petits patrons confrontés à une concurrenc­e étrangère très vive.

La révolte des institutio­ns d’insertion

Parmi eux, Manuel Meili, constructe­ur de véhicules d'entretien communaux dans le canton de Schwytz. Cette entreprise de 40 collaborat­eurs dépend presque à 100% des marchés publics. Or, les concurrent­s étrangers font des offres à des tarifs bien plus bas. Pour abaisser ses coûts, il peut acheter les pièces de ses véhicules à l'étranger plutôt qu'en Suisse ou engager du personnel polonais ou roumain. «Et c'est alors moi qui mets mon fournisseu­r suisse et les collaborat­eurs suisses en danger», se désole-t-il. Le serpent se mord la queue. La règle proposée est-elle conforme aux règles commercial­es européenne­s et mondiales? L'associatio­n de PME a consulté un professeur de droit à ce sujet. Celui-ci l'estime «possible», mais ne peut exclure qu'un tribunal la juge discrimina­toire pour les soumission­naires étrangers.

De son côté, Insertion Suisse a demandé que les institutio­ns qui s'occupent de l'insertion socioprofe­ssionnelle des personnes peinant à trouver un emploi soient exclues des règles des marchés publics. Cette revendicat­ion a échoué d'une toute petite voix en commission préparatoi­re. Elle tentera à nouveau sa chance au Conseil national le 13 juin.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland