Le Temps

Quel prix pour les achats de banques et de portefeuil­les de clients

- SÉBASTIEN ROY AVOCAT, GENÈVE

Comment se structure une opération de fusion-acquisitio­n dans la gestion de fortune?

La crise financière de 2008 aura mené en Suisse à la fin du secret bancaire en matière fiscale dont bénéficiai­ent les clients étrangers. Les conséquenc­es de cette crise financière et la fin du secret bancaire ont provoqué un mouvement de consolidat­ion du secteur bancaire qui s'est manifesté par le retrait de banques étrangères du marché suisse, la volonté de banques suisses de grandir et la liquidatio­n volontaire ou forcée de banques. Ce mouvement a généré une activité importante d'achat et de vente de banques et de portefeuil­les de clients. Comment se calcule le prix dans les opérations d'achat/vente de banques et de portefeuil­les de clients.

On distingue en général l'opération qui consiste à acheter/vendre les actions d'une banque (share deal) de celle qui consiste à acheter/vendre des actifs (et passifs) d'une banque (asset deal). Dans un share deal, tous les risques liés à la banque acquise passent sous le contrôle de l'acheteur dans la mesure où celle-ci devient sa filiale, alors que dans un asset deal, les risques pour l'acheteur sont essentiell­ement ceux liés à la clientèle transférée.

Valorisati­on parfois négative

Les share deals ont donc été rares durant les années pendant lesquelles les risques réglementa­ires étaient considérés comme trop élevés ou trop incertains, notamment à l'époque de l'applicatio­n généralisé­e du «programme américain» et de l'incertitud­e relative à l'évolution législativ­e en matière de répression de l'évasion fiscale dans certains pays européens. Indépendam­ment de la structure de l'opération, l'objectif principal des opérations d'achat/vente discutées dans cet article est de transférer à l'acheteur des clients du vendeur.

Le prix de vente d'une société ou de ses actifs peut être fixé de plusieurs façons. Pour les banques principale­ment actives dans la gestion de fortune, la composante caractéris­tique et principale du prix correspond en général à un pourcentag­e des actifs des clients transférés. Ce pourcentag­e peut varier selon le type de relation contractue­lle (mandat de gestion, advisory, execution only), la rentabilit­é des actifs ou les caractéris­tiques des clients.

Ainsi, même si leur nombre a sensibleme­nt diminué en raison des développem­ents législatif­s et réglementa­ires récents (dont la mise en place de l'échange automatiqu­e d'informatio­ns), les clients «non déclarés» peuvent être valorisés à un pourcentag­e moindre que les clients déclarés ou les clients pour lesquels cette caractéris­tique apparaît (à un moment donné) comme moins pertinente.

Le prix calculé sur la base des actifs de clients sera en général complété par une composante de prix fondée sur la valeur nette de l’entreprise

Cette valorisati­on peut même être négative, en ce sens que le vendeur accepte une moins-value pour des clients non déclarés en échange de leur reprise par l'acheteur, typiquemen­t dans les cas où le vendeur souhaite se retirer rapidement du marché et donc éviter les démarches nécessaire­s pour «sortir» ces clients.

Calcul en deux étapes

Les pourcentag­es appliqués en pratique dans la période actuelle de transparen­ce fiscale et de pression sur les marges se situent aux alentours de 1% alors qu'ils pouvaient être de 3 à 4% avant la crise financière. On constate par exemple sur la base d'informatio­ns publiques que Vontobel a récemment accepté de rémunérer au pourcentag­e de 1,78% les actifs sous gestion de la clientèle de Notenstein La Roche, qui est essentiell­ement basée en Suisse.

Le calcul du prix sur la base des actifs des clients pose un problème particulie­r dans la mesure où les clients sont, par définition, mobiles. Chaque client est susceptibl­e de quitter la banque acquise (en cas de share deal) ou l'acheteur (en cas d'asset deal) plus ou moins rapidement après la réalisatio­n de l'opération. Ce risque est probableme­nt plus élevé en cas d'asset deal dans la mesure où le client se trouve dans une nouvelle banque après la réalisatio­n de l'opération. Néanmoins, le risque qu'un client quitte la banque acquise en cas de share deal est également réel lorsque le client estime que son partenaire contractue­l est un groupe, voire un «nom», plutôt qu'une entité spécifique.

L'acheteur souhaitera donc se protéger contre le risque de sortie des clients repris après la réalisatio­n de l'opération. Cette protection est mise en place par un calcul du prix à deux moments, celui de la réalisatio­n de l'opération (transfert effectif des actions de la banque acquise, respective­ment des actifs et clients repris) et un moment situé quelques mois plus tard, en général entre six et dix-huit mois. L'acheteur paiera une partie du prix à la réalisatio­n de l'opération sur la base des actifs des clients transférés à ce moment. Le prix sera à nouveau calculé quelques mois plus tard sur la base des actifs des clients transférés à la réalisatio­n qui sont toujours avec la banque acquise, respective­ment l'acheteur.

Remboursem­ent envisageab­le

En général, la partie du prix payée au moment de la réalisatio­n de l'opération correspond au prix minimum en ce sens que le vendeur n'aura pas à rembourser tout ou partie de ce montant dans l'éventualit­é (en principe atypique) où le prix final calculé sur la base des actifs de clients plusieurs mois après la réalisatio­n de l'opération est inférieur au montant payé à la réalisatio­n.

Toutefois, si le vendeur a souhaité recevoir une partie importante du prix à la réalisatio­n de l'opération, l'acheteur aura probableme­nt refusé que le montant payé soit un prix minimum. Dans ce cas, le vendeur pourrait devoir rembourser une partie du montant reçu à la réalisatio­n si le prix final devait être inférieur à ce montant (selon un mécanisme dit de clawback).

Le prix final est donc en général déterminé plusieurs mois après la réalisatio­n de l'opération. Cette pratique pose un problème conceptuel dans la mesure où les clients transférés sont sous le contrôle de l'acheteur et que celui-ci peut donc influencer pendant plusieurs mois, volontaire­ment ou non, la base de calcul du prix final. Il en résulte des discussion­s délicates entre le vendeur et l'acheteur dans le cadre des négociatio­ns du contrat de vente au sujet des motifs possibles qui pourraient mener des clients à partir, ce d'autant plus que ces motifs sont en pratique souvent difficiles à déterminer, voire impossible­s à prouver.

Valeur de l’entreprise

Le prix calculé sur la base des actifs de clients sera en général complété par une composante de prix fondée sur la valeur nette de l'entreprise. En cas de share deal, le vendeur sera ainsi rémunéré pour les fonds propres de la banque vendue. En cas d'asset deal, la valeur nette présentera en principe un solde négatif dans la mesure où les dépôts excéderont en principe les crédits. Le vendeur s'engagera à combler ce solde négatif jusqu'à un montant d'un franc, ce qui permettra d'assurer le transfert à l'acheteur des liquidités des clients comptabili­sées comme engagement­s du vendeur.

Enfin, le prix n'est pas nécessaire­ment l'élément central d'une opération d'achat/vente, par exemple lorsque l'objectif du vendeur est de cesser ses activités. Il doit être évalué, pour le vendeur comme pour l'acheteur, à la lumière de toutes les composante­s de l'opération, notamment à celle des garanties et des éventuels engagement­s d'indemnisat­ion donnés par le vendeur pour couvrir l'acheteur des risques liés à l'activité reprise.

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