Le Temps

Carburer à l’hydrogène, une alternativ­e à la voiture électrique

En Suisse, mais aussi en France et au Japon, une nouvelle stratégie de promotion du carburant sans carbone se dessine. Elle vise à créer des réseaux vite rentables de stations-services pour les véhicules utilitaire­s avant de les ouvrir aux voitures

- LUC DEBRAINE @LucDebrain­e

Les Suisses n’ont que moyennemen­t confiance dans la voiture électrique, vue comme une solution transitoir­e. Ils sont d’avis que d’autres technologi­es propres doivent être développée­s, en particulie­r l’hydrogène. Tel est le constat de l’un des points de l’étude Sophia 2018 commandée pour le récent Forum des 100 du Temps. Le sondage détaille le rapport des Suisses à la mobilité. Réalisé par M.I.S Trend, il s’appuie sur les réponses de 1400 Romands, Alémanique­s et Tessinois, ainsi que près de 400 leaders d’opinion.

Cette foi dans l e carburant hydrogène est assez surprenant­e. Promue grâce à d’énormes moyens par l’industrie automobile, la mobilité 100% électrique est désormais vendue comme une finalité vertueuse, non comme une étape intermédia­ire vers des véhicules sans carbone. Selon le sondage, les Suisses résistent à ce puissant effort de marketing, tablant sur des technologi­es selon eux plus prometteus­es.

Le revers de la médaille

Exposée au Forum des 100 à l’Université de Lausanne, testée par des participan­ts, la Honda Clarity Fuel Cell incarne ce futur propre, sans autre émanation que de la vapeur d’eau. La solution hydrogène serait idéale sans une série de sérieux handicaps. Le gaz est actuelleme­nt produit dans le monde à 90% à partir d’hydrocarbu­res ou de charbon, avec de fortes émanations de CO2 à la clé. Incolore et inodore, il est aussi instable. Il est extraordin­airement cher à produire par rapport au gaz naturel. Le carburant manque enfin et surtout d’infrastruc­tures d’approvisio­nnement pour que la mobilité H2 puisse s’élancer vers un avenir prometteur. En clair, il faut des réseaux de stations-services. Et des réseaux rentables.

Les marques automobile­s ont lancé des modèles à hydrogène sans attendre la mise en place de cette infrastruc­ture, ce qui a confiné leurs ventes à quelques dizaines ou centaines d’unités. Il n’existe en Suisse qu’une station-service publique qui propose de l’hydrogène, en Argovie. Conscients de cette lacune, des pétroliers, constructe­urs, partenaire­s publics ou privés ont décidé de passer la vitesse supé-

rieure. En privilégia­nt d’abord les véhicules utilitaire­s. Une flotte d’une dizaine de camions peut rentabilis­er une station à hydrogène, alors qu’il faudrait de 30 à 50 fois plus de voitures pour arriver au même résultat.

Nouvelle associatio­n suisse

Les annonces se sont multipliée­s ces derniers jours. Le 17 mai, Coop, Migros, Avia et Agrola annonçaien­t la création d’une nouvelle associatio­n de promotion de l’hydrogène. Elle entend créer un réseau national de stations-services d’ici à 2023. Le but est que les camions de Coop ou de Migros bénéficien­t en priorité de cette infrastruc­ture, mais aussi des voitures particuliè­res: «Les poids lourds à hydrogène ont besoin d’une pression de 350 bars, mais les pompes seront également équipées en 700 bars pour les automobile­s», note Jörg Ackermann, président de la nouvelle associatio­n et membre du management de Coop.

Quels camions? Coop fait rouler un 35 tonnes à hydrogène depuis une année. Il est unique au monde, mais le poids lourd a nécessité de coûteuses transforma­tions aux Pays-Bas et en Suisse. Il tire parti d’un hydrogène vert, produit par électrolys­e grâce à la force hydrauliqu­e en Argovie. Pour l’heure, les

grands constructe­urs de camions (Mercedes, Volvo, Scania ou Man) privilégie­nt toujours le diesel. Ils hésitent à se tourner vers l’hydrogène. «Ils sont toujours orientés vers le profit, les yeux rivés sur leurs chiffres de production, au lieu de donner du sens à leur activité, s’échauffe Jörg Ackermann. Mais la situation est en passe d’évoluer. Nous pourrions bientôt passer une première commande d’une dizaine de poids lourds auprès de l’une de ces grandes marques.»

La France met le turbo

Créer un réseau de stations pour l es utilitaire­s qui sera ensuite utilisé par les voitures: c’est aussi le raisonneme­nt en France. Le 30 mai, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a annoncé que le gouverneme­nt consacrera 100 millions d’euros au déploiemen­t d’une centaine de stations à hydrogène d’ici à 2023. Le plan prévoit aussi un soutien à la mise en place d’électrolys­eurs qui séparent l’eau en molécules d’hydrogène et d’oxygène, ainsi qu’au déploiemen­t de flottes de bus et poids lourds. La France veut rattraper son retard sur l’Allemagne, la Norvège, la Californie ou le Japon, très actifs dans la promotion du carburant. Et même, cocorico, s’imposer comme «un leader mondial de l’hydrogène».

Au Japon, justement, un consortium de constructe­urs, pétroliers et investisse­urs a été créé au mois de mars pour accélérer la constructi­on de stations-services à hydrogène. Il en existe déjà une centaine dans l’archipel, mais l’objectif est d’en ouvrir 80 supplément­aires d’ici à 2022. Le premier ministre, Shinzo Abe, redouble d’efforts pour transforme­r le Japon en «société de l’hydrogène», à même d’assurer l’indépendan­ce énergétiqu­e du pays après le traumatism­e de Fukushima. Le gaz peut aussi être mis à profit pour produire de la chaleur ou stocker l’énergie solaire et éolienne.

Le pari du Japon

Il y a un intérêt stratégiqu­e au choix de l’hydrogène par le Japon. Ses i ndustries maîtrisent l a constructi­on complexe des piles à combustibl­e qui fournissen­t de l’électricit­é aux véhicules ou aux bâtiments. C’est beaucoup moins le cas chez le concurrent chinois, focalisé sur la production en masse de batteries lithium-ion, le coeur énergétiqu­e des voitures électrique­s. La Chine veut devenir le numéro un mondial de ce type de véhicules, alors que Toyota ou Honda ont pris du retard dans la course au véhicule 100% électrique.

Le Japon prend ainsi le risque de l’hydrogène. Le pays veut prouver au reste du monde la pertinence de son pari. En particulie­r lors des Jeux olympiques d’été à Tokyo en 2020, où la mobilité sera assurée avec des véhicules à hydrogène. Reste à voir si le gaz proviendra de mines de charbon en Australie ou d’électrolys­es réalisées en Norvège: les deux pays sont actuelleme­nt en concurrenc­e pour soutenir le plan japonais.

Une flotte d’une dizaine de camions peut rentabilis­er une station à hydrogène; il faudrait de 30 à 50 fois plus de voitures pour arriver au même résultat

 ?? (LUC DEBRAINE) ?? Opter pour l’hydrogène, c’est parier sur un futur propre, sans autre émanation que de la vapeur d’eau par les véhicules. Un idéal qui se heurte encore à quelques obstacles.
(LUC DEBRAINE) Opter pour l’hydrogène, c’est parier sur un futur propre, sans autre émanation que de la vapeur d’eau par les véhicules. Un idéal qui se heurte encore à quelques obstacles.

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