Le Temps

Un pavé dans la mare bienvenu

- PASCALINE MINET @pascalinem­inet

«Inimaginab­les» et même «criminelle­s». C’est ainsi que des profession­nels du secteur agricole qualifient – en off – les deux initiative­s populaires «anti-pesticides» récemment déposées à Berne. «Pour une eau potable propre et une alimentati­on saine», qui a abouti en janvier, entend réserver l’octroi de paiements directs aux agriculteu­rs qui se passent de produits phytosanit­aires. Quant à l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse», déposée fin mai, elle veut interdire l’usage de ces substances sur le territoire helvétique, tout comme l’importatio­n des denrées qui en contiennen­t.

La crispation des agriculteu­rs sur ce sujet est compréhens­ible, car nombre d’entre eux font déjà de gros efforts pour réduire leur usage de pesticides. De plus en plus d’exploitant­s se tournent vers le bio, ce qui implique de revoir leur mode de production, en n’ayant plus recours qu’à des produits naturels, souvent moins efficaces que les produits de synthèse.

Les agriculteu­rs convention­nels aussi ont pris conscience du problème et ont commencé à adopter des techniques alternativ­es à la chimie, d’ailleurs souvent issues du monde du bio. La profession se sent prise au piège d’injonction­s contradict­oires: on lui demande de produire des aliments de qualité et de respecter l’environnem­ent, mais aussi d’être compétitiv­e et de garantir une certaine sécurité alimentair­e pour le pays, ce qui implique une production importante. L’équation n’est pas facile à résoudre!

Le ras-le-bol d’une partie de la population, qui a lancé et soutenu les deux initiative­s, est tout aussi légitime. L’usage massif de pesticides de synthèse en Suisse fait payer un lourd tribut à la nature. Dans les zones agricoles intensives, on n’entend guère plus le vrombissem­ent des insectes et le gazouillis des oiseaux, qui se sont fortement raréfiés au cours des dernières décennies.

L’effet sur notre santé des cocktails de pesticides auxquels nous sommes quotidienn­ement exposés a aussi de quoi inquiéter. Enfin, les manquement­s dans les processus d’homologati­on des produits phytosanit­aires, révélés notamment dans le dossier du glyphosate, soupçonné d’être cancérigèn­e mais réautorisé dans l’Union européenne, ont sapé la confiance du public dans les organismes officiels de régulation.

Sans objectif chiffré et sans budget propre, le plan d’action sur les pesticides adopté à la fin de l’année dernière par le Conseil fédéral ne semble pas en mesure de répondre aux attentes de la population. Les récentes initiative­s populaires ont donc le mérite de jeter un pavé dans la mare. Elles nous confronten­t à des questions essentiell­es: que souhaitons-nous mettre dans nos assiettes, et à quel prix? La profession agricole peutelle se réinventer, et à quelles conditions?

Les autorités fédérales n’ont désormais plus le choix. Elles doivent s’atteler au problème, avec cette fois, espérons-le, l’ambition que requiert la situation.

Que souhaitons­nous manger, et à quel prix?

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