Un pavé dans la mare bienvenu
«Inimaginables» et même «criminelles». C’est ainsi que des professionnels du secteur agricole qualifient – en off – les deux initiatives populaires «anti-pesticides» récemment déposées à Berne. «Pour une eau potable propre et une alimentation saine», qui a abouti en janvier, entend réserver l’octroi de paiements directs aux agriculteurs qui se passent de produits phytosanitaires. Quant à l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse», déposée fin mai, elle veut interdire l’usage de ces substances sur le territoire helvétique, tout comme l’importation des denrées qui en contiennent.
La crispation des agriculteurs sur ce sujet est compréhensible, car nombre d’entre eux font déjà de gros efforts pour réduire leur usage de pesticides. De plus en plus d’exploitants se tournent vers le bio, ce qui implique de revoir leur mode de production, en n’ayant plus recours qu’à des produits naturels, souvent moins efficaces que les produits de synthèse.
Les agriculteurs conventionnels aussi ont pris conscience du problème et ont commencé à adopter des techniques alternatives à la chimie, d’ailleurs souvent issues du monde du bio. La profession se sent prise au piège d’injonctions contradictoires: on lui demande de produire des aliments de qualité et de respecter l’environnement, mais aussi d’être compétitive et de garantir une certaine sécurité alimentaire pour le pays, ce qui implique une production importante. L’équation n’est pas facile à résoudre!
Le ras-le-bol d’une partie de la population, qui a lancé et soutenu les deux initiatives, est tout aussi légitime. L’usage massif de pesticides de synthèse en Suisse fait payer un lourd tribut à la nature. Dans les zones agricoles intensives, on n’entend guère plus le vrombissement des insectes et le gazouillis des oiseaux, qui se sont fortement raréfiés au cours des dernières décennies.
L’effet sur notre santé des cocktails de pesticides auxquels nous sommes quotidiennement exposés a aussi de quoi inquiéter. Enfin, les manquements dans les processus d’homologation des produits phytosanitaires, révélés notamment dans le dossier du glyphosate, soupçonné d’être cancérigène mais réautorisé dans l’Union européenne, ont sapé la confiance du public dans les organismes officiels de régulation.
Sans objectif chiffré et sans budget propre, le plan d’action sur les pesticides adopté à la fin de l’année dernière par le Conseil fédéral ne semble pas en mesure de répondre aux attentes de la population. Les récentes initiatives populaires ont donc le mérite de jeter un pavé dans la mare. Elles nous confrontent à des questions essentielles: que souhaitons-nous mettre dans nos assiettes, et à quel prix? La profession agricole peutelle se réinventer, et à quelles conditions?
Les autorités fédérales n’ont désormais plus le choix. Elles doivent s’atteler au problème, avec cette fois, espérons-le, l’ambition que requiert la situation.
Que souhaitonsnous manger, et à quel prix?