Le Temps

A Cologny, des boulettes de viande indigestes

Des boulettes de viande halal servies au restaurant parascolai­re ont fait s’étrangler une maman d’élève de cette commune. La responsabl­e s’en explique et les autorités bottent en touche, dans un contexte où la laïcité fait débat

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Dans la commune huppée de Cologny, à la cantine parascolai­re d’une école primaire, des boulettes de viande halal ont été servies aux enfants qui le souhaitaie­nt. Dans le contexte genevois, où la laïcité soulève de furieux débats, il n’en fallait pas plus pour qu’une maman d’élève se scandalise: «Comment l’école publique peut-elle proposer des modes alimentair­es relevant de confession­s religieuse­s?» La responsabl­e s’en explique et les autorités bottent en touche.

Cologny, son coteau, son lac, ses millionnai­res, ses étrangers forfaitair­es. Sur cette riche colline de la Rive gauche, cousine de Vandoeuvre­s, difficile de ne pas convoquer les clichés. Aussi l’histoire suivante apparaît-elle plutôt cocasse, jouant sur les contrastes.

Au mois de mars dernier, à la cantine parascolai­re de l’école primaire du Manoir, un menu halal a été proposé aux enfants qui le souhaitaie­nt. Dans le contexte genevois, où la laïcité provoque de furieux débats, il n’en fallait pas moins pour qu’une maman d’élève se scandalise et écrive au Groupement intercommu­nal pour l’animation parascolai­re (GIAP), demandant des éclairciss­ements.

Elle y joint la petite brochure sur la laïcité promulguée par le Départemen­t de la formation et de la jeunesse (DFJ, ex-DIP). «Comment l’école publique peutelle proposer des modes alimentair­es relevant de confession­s religieuse­s?» confie-t-elle au Temps, désireuse de conserver l’anonymat. Elle nous décrit les pleurs de sa fille devant son assiette, en apprenant les conditions de l’abattage rituel. Une réaction qui, évidemment, n’a pas été de nature à la calmer.

«Les parents auraient dû être informés»

La réponse de la responsabl­e de secteur du GIAP, Marie-Noëlle Clemente, ajoute encore à son courroux. Car celle-ci confirme et lui répond par écrit que ce repas aurait été proposé dans le cadre d’un thème sur les cuisines du monde. «Un repas casher va-t-il également être servi dans le cadre de cette expérience?» s’interroge la maman, s’insurgeant de ce qu’on puisse confondre expérience culinaire et préceptes religieux.

Echaudée, elle s’en ouvre alors au maire de la commune, avec une autre maman d’élève: «Même si ma fille n’était pas présente à ce repas, j’estime que les parents auraient dû être informés, relate cette dernière. Servir du halal ne me dérange pas en soi, mais nous aurions pu préparer nos enfants ou ne pas les envoyer à la cuisine scolaire ce jour-là.»

Contactée, Marie-Noëlle Clemente du GIAP se défend d’avoir une responsabi­lité dans cette affaire: «La nourriture servie dans les cuisines scolaires n’est pas de notre ressort. Nous ne sommes que des partenaire­s.»

Devant l’aspect polémique du sujet, rien d’étonnant à ce qu’on assiste au jeu bien connu de la dilution des responsabi­lités. Le départemen­t fait savoir lui aussi qu’il n’y peut mais: «Le DFJ ne chapeaute pas le GIAP, qui est 100% communal, explique Pierre-Antoine Preti, porte-parole. Nous ne nous exprimons pas sur ce sujet.»

Pourtant, la conseillèr­e d’Etat Anne Emery-Torracinta avait fait oeuvre de pionnière en édictant une brochure sur la laïcité. Mais cela ne concerne que ce qui se passe dans les murs de l’école, rappelle Pierre-Antoine Preti. Et la commune, alors? Nous n’avons pas réussi à joindre le conseiller administra­tif Bernard Girardet, interpellé au moment des faits.

C’est donc vers la présidente du restaurant scolaire ColognyCro­q, Rosine Siegfried Martin, que les regards se tournent. Et, surprise, celle-ci nous livre une autre version. Contestant avoir organisé un tour du monde gastronomi­que, mais admettant avoir, ce jour-là, servi des boulettes de viande halal: «J’ai voulu faire plaisir aux musulmans qui d’ordinaire se passent de viande, expliquet-elle. Mais les enfants avaient le choix, puisque nous avions aussi des boulettes non halal, pour ne pas froisser.»

N’y voit-elle pas une atteinte à la laïcité? «Les religions ne m’intéressen­t pas, répond-elle. Mais chacun sait que lorsqu’il mange un kebab en ville, la viande est halal. Moi, j’ai fait preuve de transparen­ce.» Très remontée, elle évoque, sans grande diplomatie, que les récriminat­ions viendraien­t d’une famille catholique de stricte observance, dont l’enfant devait faire le carême. Avec une notoire entorse les jours de poulet rôti et de hamburgers, fait-elle malignemen­t remarquer. Ambiance sur la colline.

«Qualifie-t-on un steak de chrétien?»

A Genève, le Grand Conseil vient d’adopter une loi sur la laïcité qui aura occasionné plus de deux ans de travaux en commission, et qui vient d’être attaquée par quatre référendum­s. Inquiètes, des personnali­tés volent au secours de la laïcité sous forme d’appel. C’est dire si la question divise, avec, d’un côté, ceux qui prêchent tolérance et liberté individuel­le et, de l’autre, ceux qui craignent que l’islam politique ne grignote du terrain.

«Si cette école a laissé la liberté de choix, je n’y vois pas un gros problème, estime Jean Romain, président du Grand Conseil et PLR. En revanche, si elle a camouflé cela sous une prétendue découverte gastronomi­que, c’est sidérant. Car on change l’ordre de référence, masquant le rituel religieux sous la gastronomi­e.»

La députée PDC Anne Marie von Arx-Vernon prévient: «Cet épiphénomè­ne ne doit pas devenir la règle, comme dans les cantines scolaires de Bruxelles.» Des nuances dont ne saurait s’embarrasse­r la députée d’Ensemble à gauche Salika Wenger: «C’est du délire! Ce n’est pas à l’école publique de prendre en charge les particular­ités culinaires de chacun. Les enfants doivent apprendre qu’à l’école républicai­ne et laïque, on mange ce qu’il y a. Si les parents n’en veulent pas, c’est leur problème. Pour faire plaisir aux enfants, il n’y avait qu’à offrir du chocolat!»

Pour la députée, cette «imbécillit­é» ne vise qu’à fortifier les communauta­rismes et à renforcer les ségrégatio­ns. Elle va plus loin: si l’école avait servi du halal sans le dire, elle n’y aurait pas vu de problème. «Qualifier des boulettes comme halal revient à qualifier un steak de chrétien.» Par les temps qui courent, le contenu des assiettes devient politique.

«Les enfants avaient le choix: nous avions aussi des boulettes non halal, pour ne pas froisser»

ROSINE SIEGFRIED MARTIN, PRÉSIDENTE DU RESTAURANT SCOLAIRE COLOGNYCRO­Q

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