Le Temps

A Lausanne, des épouvantai­ls contre le deal

La municipali­té à majorité de gauche promet une présence policière en uniforme dans six points chauds du centre-ville. Mais les agents ne pourront pas arrêter les trafiquant­s et devront simplement faire acte de présence, pour rassurer

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Il y a eu Alpha, Delta, Héraclès, Strada… Impuissant­e à juguler le trafic de drogue dans ses rues, la ville de Lausanne a annoncé mardi un nouveau plan destiné à chasser les dealers de son centre. Dès le 15 juin 2018, un maillage du territoire basé sur la présence de policiers en uniforme sera introduit, de 8h à 22h, sur six points exposés du centre-ville. Le dispositif mobilisera une vingtaine d'agents avant de monter progressiv­ement en puissance.

Une population excédée

Cette décision a été accélérée par la manifestat­ion de la semaine dernière, qui a réuni 200 personnes protestant contre le deal de rue au coeur de Lausanne. Quelques jours plus tôt, l'irruption du cinéaste Fernand Melgar, figure de la gauche, contre la présence massive de dealers à proximité de certaines écoles avait fait monter le débat d'un ton.

«La vérité est que la situation du deal de rue est insatisfai­sante», admet Pierre-Antoine Hildbrand, directeur de la sécurité de la capitale vaudoise. «La population de certains quartiers est excédée et c'est justifié. Nous voulons lutter contre le sentiment d'impunité ressenti par les Lausannois.» Pour le municipal PLR, il s'agit d'«arrêter la culture de l'excuse et la victimisat­ion des dealers, en retrouvant une situation rationnell­e».

Invisibili­ser le deal de rue

Le renforceme­nt de la présence policière dans les rues n'a pas la prétention d'arrêter le trafic de drogue. Les îlotiers n'auront d'ailleurs pas pour mission d'intervenir. Il s'agira plutôt de rassurer les commerçant­s et les habitants des quartiers.

«La présence visible des policiers en uniforme perturbera les échanges entre dealers et acheteurs, et décourager­a les consommate­urs. Il s'agit de dissuader la transactio­n au centrevill­e, et la faire se déplacer ailleurs que dans ces six lieux», explique Pierre-Antoine Hildbrand. Vingt agents épouvantai­ls, chargés d'invisibili­ser le deal de rue en l'éloignant de l'hypercentr­e, voici le nouveau dispositif lausannois dont le coût n'a pas été dévoilé.

D'autres mesures sont prévues comme un deuxième poste de police mobile. Quant à la répression, elle continuera à se faire notamment avec des policiers en civil mais aussi des chiens policiers.

Autres réflexions sur la politique de la drogue

Depuis plus de vingt ans, le deal à Lausanne constitue un abcès que les autorités municipale­s, les unes après les autres, n'ont jamais su traiter. La capitale vaudoise conserve sa réputation de dernière ville suisse qui n'arrive pas à débarrasse­r son centre de ses dealers.

L'apparition d'un local d'injection dans le quartier du Vallon mettra fin cet automne à ce qui faisait de Lausanne une exception parmi les métropoles helvétique­s. Les villes alémanique­s qui ont mis en place ces espaces remarquent une tranquilli­sation de l'espace public. L'ambition sanitaire d'un tel espace est d'améliorer la santé des toxicomane­s, mais aussi de privilégie­r les contacts entre usagers de la drogue, infirmiers et intervenan­ts sociaux.

Pour certains, l'actuel débat de sécurité et de salubrité publique ne résout en rien le problème plus profond du trafic de drogue. Des postulats de la gauche radicale lausannois­e ont demandé l'étude de modèles légaux de consommati­on du cannabis. Leur message consiste à prendre acte de l'échec de la répression et à envisager des démarches pour régularise­r le marché: vente contrôlée en pharmacie, vente sous encadremen­t médical ou par le biais d'associatio­ns de consommate­urs.

Une autre piste souvent avancée par le même groupe politique pour offrir des alternativ­es aux dealers serait une modificati­on de la loi sur l'asile, qui leur permettrai­t de travailler normalemen­t.

A Genève, le quartier des Pâquis a testé l'apaisement de ses rues par la vidéosurve­illance, reliée à un centre de contrôle visionnant les images en direct. Sa population sondée a admis un effet rassurant, particuliè­rement la nuit.

Pour entraver le deal de rue et éviter la privatisat­ion de certains espaces publics par les dealers il conviendra­it, pour le commandant de la police judiciaire de Lausanne Pierre-Alain Raemy, que l'Etat accepte et gère certaines activités qu'il considère comme illégales aujourd'hui. Comme des espaces dédiés au deal dans la ville?

Enfin, Neuchâtel a été à plusieurs reprises citée en modèle ces dernières semaines dans les médias, avec notamment ses places réservées en prison pour les dealers.

«Nous voulons lutter contre le sentiment d’impunité ressenti par les Lausannois» PIERRE-ANTOINE HILDBRAND, DIRECTEUR DE LA SÉCURITÉ LAUSANNOIS­E

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(CHRISTOPHE CHAMMARTIN POUR «LE TEMPS») Au centre-ville de Lausanne, le deal de rue est devenu un objet de tensions politiques.

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