Le Temps

Les CFF pourraient servir d’exemple à la réforme de la SNCF

- LOÏK LE FLOCH-PRIGENT ANCIEN PDG DE LA SNCF (1995-1996)

Tandis que le parlement français légifère, les grèves se poursuiven­t dans le pays, et la colère et le découragem­ent gagnent tous les jours chez le personnel comme chez les clients. Une grande partie de la réforme proposée s’appuie sur les directives européenne­s qui ont souhaité une redéfiniti­on profonde des monopoles ferroviair­es; mais pour accroître les performanc­es des trains, n’existait-il qu’une seule voie? Les réformes engagées en Suisse en parallèle à celles de l’Union européenne semblent montrer le contraire. On a beaucoup fait parler les systèmes étrangers, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Suède, mais curieuseme­nt on a oublié de citer la Confédérat­ion helvétique, alors que tous louent la qualité de service, la ponctualit­é et l’organisati­on des CFF, la compagnie unique.

Certes la SNCF porte sur un réseau beaucoup plus grand, à l’échelle du pays, mais la régionalis­ation souhaitée avec la participat­ion ici des régions et là des cantons est semblable et la solution retenue en France, celle de l’appel d’offres et de la concurrenc­e fait hurler le personnel de la société alors que l’unicité des CFF a été maintenue, que les performanc­es ont été remarquabl­es et peuvent servir d’exemple à toute l’Europe ferroviair­e. La Suisse a donc démontré qu’il n’y avait pas forcément correspond­ance entre concurrenc­e et productivi­té, entre concurrenc­e et qualité de service.

Or, c’est le diagnostic de la situation avant la réforme qui doit précéder les mesures à prendre, et les cheminots français ne sont pas d’accord avec la photograph­ie de leur entreprise telle qu’elle a été communiqué­e, pas plus qu’avec les conséquenc­es que l’on peut en tirer.

Ma conviction est que le train étant un monopole naturel, il convient de prendre avec des doigts de fée l’idée qu’il doit faire l’objet d’une concurrenc­e qui ne peut être que régulée. C’est-à-dire que, dans la mesure où c’est la ou les collectivi­tés qui paient le système ferroviair­e en grande partie (entre la moitié ou les deux tiers), la concurrenc­e ne peut exister que sur une petite partie «visible» du service. Mais plus il y aura d’acteurs et plus l’autorité «régulatric­e» enflera, ce qui n’ira pas dans le sens d’une diminution des coûts, bien au contraire. C’est ainsi que les coûts ont dérapé en Grande-Bretagne, comme le prix des billets, et nous connaisson­s tous dans le domaine de l’énergie qu’il en a été de même sur l’ensemble du continent. On peut estimer qu’un monopole est mal géré et pèse trop lourd dans les comptes de la collectivi­té, on doit cependant choisir la bonne méthode pour améliorer les performanc­es et satisfaire les clients au meilleur prix.

C’est donc l’exemple suisse que j’aimerais que la France et d’autres pays européens méditent. Les réformes ont été engagées pas à pas, en 1996, 1999 et 2005 avec comme objectif l’accroissem­ent de la mobilité en augmentant la part du rail: l’engorgemen­t des villes, des routes, des autoroutes, les déséconomi­es ainsi engendrées, en particulie­r les pollutions, conduisent tous les pays développés dans cette direction, encore faut-il le dire, le décider, et engager les investisse­ments correspond­ants.

Les conclusion­s parlent d’elles-mêmes: plus d’efficacité dans l’utilisatio­n des fonds publics, plus de qualité de service et plus d’offre pour les passagers du rail. Et cela a été réalisé avec un opérateur historique (CFF) qui a été capable de profondes innovation­s organisati­onnelles et de considérab­les gains de productivi­té, mais aussi qui a bénéficié du soutien des consommate­urs et des citoyens.

Vouloir la transparen­ce des coûts des différente­s fonctions du système ferroviair­e est tout à fait normal si l’on souhaite augmenter la productivi­té, comme dans toute activité industriel­le, mais en déduire une dislocatio­n des entités n’est pas forcément un gage d’efficacité. On a bien vu dans le passé que la séparation de Réseau ferré de France et de SNCF Mobilités n’avait pas permis de renforcer le transport ferroviair­e français, bien au contraire, car la base de la bonne marche des trains est l’identité cheminote, c’est-à-dire un même corps de travailleu­rs solidaires. C’est cette identité que les CFF ont conservé et qui doit être la garantie de l’avenir de la SNCF. Tout processus de décision «technocrat­ique» qui ignore cette donnée fondamenta­le est voué à l’échec, non pas du passage au parlement de la réforme, mais de la transforma­tion véritable conduisant à plus d’efficacité et plus d’engagement des gens de terrain.

C’est cette lecture qu’il faudrait faire aujourd’hui pour remettre les cheminots au travail, car les grèves actuelles sont destructri­ces de la confiance que doivent avoir les citoyens de la possibilit­é de voir le train français relever le défi de l’accroissem­ent de la mobilité collective, seule compatible avec notre volonté de diminuer nos gaspillage­s. La Suisse a opté pour la coopératio­n entre acteurs renforcée plutôt que de se soumettre aux forces de la concurrenc­e. Quelle que soit la loi qui sera votée, le résultat escompté est celui vers lequel il faut tendre, une meilleure marche des trains au meilleur prix pour la collectivi­té et la clientèle, le maintien d’une identité cheminote forte en est un principe fondateur.

La Suisse a opté pour la coopératio­n entre acteurs renforcée plutôt que de se soumettre aux forces de la concurrenc­e

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