Le Temps

«Il faut redonner espoir aux jeunes Centrafric­ains»

CENTRAFRIQ­UE Président depuis mars 2016, Faustin-Archange Touadéra a pour priorité la lutte contre l’impunité à travers la Cour pénale spéciale. Il mise aussi sur la justice transition­nelle. Il craint que son pays ne soit pas prêt à affronter une épidémie

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Le président de la République centrafric­aine, Faustin-Archange Touadéra, était l’invité du Bureau internatio­nal du travail, à Genève. Pour Le Temps, il détaille les crises, entre groupes armés et menace d’Ebola, qui tenaillent son pays.

Nous sommes en 2013. De violents affronteme­nts éclatent dans la capitale Bangui entre l’ex-Séléka, une coalition à coloration musulmane formée de plusieurs mouvements de rébellion du nord, et des milices «anti-balaka» d’obédience chrétienne. Vacillant déjà depuis sa réélection en 2011, le président de la République centrafric­aine (RCA) François Bozizé est renversé. Coup d’Etat.

Le chaos s’installe poussant le Conseil de sécurité de l’ONU à adopter une résolution autorisant les forces françaises à intervenir dans le cadre de l’opération Sangaris. Ce même Conseil crée la Mission multidimen­sionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisat­ion en République centrafric­aine (Minusca). En août 2017, l’ONU met toutefois en garde contre les «signes avant-coureurs de génocide». Depuis qu’il a accédé au pouvoir en mars 2016, le président Faustin-Archange Touadéra, un ex-professeur de mathématiq­ues, tente de remettre de l’ordre dans le pays. Venu s’exprimer devant le Bureau internatio­nal du travail à Genève, il a reçu Le Temps.

La RCA demeure très instable. Menaces de descente de groupes armés sur Bangui, ONG pillées, affronteme­nts intercommu­nautaires. Comment interrompr­e le cycle de la violence?Lors du Forum de Bangui de février 2016 où ont été tracées les grandes lignes de l’actuelle Constituti­on de la Centrafriq­ue, le peuple a été consulté. Il s’est prononcé à l’unanimité en faveur de la lutte contre l’impunité. Depuis 2003, la crise que nous traversons n’a jamais été aussi profonde. Les fondamenta­ux de l’Etat et l’unité du pays ont été mis à mal. On a vite donné à la crise une dimension confession­nelle. Entre les groupes armés de l’ex-Séléka de tendance musulmane et les milices chrétienne­s anti-balaka, il n’y a pas de problèmes confession­nels?De mémoire de Centrafric­ains, la religion n’a jamais été une préoccupat­ion. Si nous étions confrontés à une crise confession­nelle, il n’y aurait pas eu création d’une plateforme par des responsabl­es religieux pour engager une réconcilia­tion nationale et promouvoir la liberté de culte. La laïcité, ancrée dans la Constituti­on, n’a jamais été un problème. Mais c’est vrai: il y a des gens qui, par intérêts politiques ou financiers, choisissen­t de jouer la carte confession­nelle. La presse elle-même n’a pas joué un rôle constructi­f, exacerbant les tensions.

Avez-vous encore un soutien substantie­l de la France? En 2013, le président français François Hollande a oeuvré pour créer la Minusca. La France a été la première à déployer des troupes à travers la force Sangaris. C’est grâce à elle qu’on a pu mettre fin aux violences extrêmes. Le départ de la mission Sangaris fut prématuré. Nous l’avons dit. Mais la France continue de nous soutenir en formant un bataillon de l’armée, des gendarmes et policiers. Nous comptons encore sur elle pour nous sortir définitive­ment de cette période difficile. Mais aussi sur la mission EUTM de l’Union européenne qui forme nos futurs soldats depuis juillet 2016.

Vous auriez aimé un soutien plus musclé des Casques bleus. Avez-vous été entendu? Nous l’avons répété à plusieurs reprises aux Nations unies. La force Sangaris est partie. Les deux contingent­s de la République démocratiq­ue du Congo et du Congo-Brazzavill­e, les forces ougandaise­s ainsi que la task force américaine qui combattaie­nt l’Armée de résistance du Seigneur (LRA, de Joseph Kony) ont quitté le pays. A chaque départ, il y a un appel d’air. Les groupes armés remplissen­t le vide. La crise s’est étendue à tout le pays et la Minusca a vu son champ d’action élargi. En raison notamment de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité, nos forces de défense ne sont plus opérationn­elles. C’est pourquoi nous avons demandé un renforceme­nt de la Minusca, la seule capable de couvrir l’ensemble du territoire. Le Conseil de sécurité a accepté d’augmenter son contingent de 900 hommes. Nous aimerions cependant que ce processus s’accélère.

Avec un système judiciaire presque inexistant, comment comptez-vous lutter contre l’impunité? Le Conseil national de transition a voté la création de la Cour pénale spéciale (CPS). Dès mon entrée en fonction, nous avons agi pour qu’elle voie le jour. La loi de procédure pour la CPS a été adoptée à la fin mai et va permettre à la cour de commencer à travailler. Les magistrats (nationaux et internatio­naux) et le procureur spécial sont prêts. Il reste un problème de financemen­t. L’Union européenne et la Banque mondiale nous aident dans ce sens.

Et la justice transition­nelle? A côté de la Cour pénale, mon gouverneme­nt développe un programme de justice transition­nelle, une Commission vérité et réconcilia­tion. Ce dispositif devrait permettre à la population et aux différente­s communauté­s de se parler et de régler plusieurs problèmes qui les divisent. Nous comptons nous appuyer sur les expérience­s faites en la matière dans d’autres pays avec le soutien de l’UE, de l’ONU et de l’Union africaine.

L’omniprésen­ce de groupes armés en République centrafric­aine demeure toutefois un obstacle majeur. Nous avons identifié quatorze groupes armés. Or, lors des discussion­s du Forum de Bangui, il y a eu un accord sur le processus à suivre que la plupart des groupes armés ont signé et par lequel ils promettent de désarmer. Je souhaitera­is que ce processus de désarmemen­t s’accélère. Selon notre stratégie, certains éléments de ces groupes sont réintégrés dans des activités économique­s et civiles, d’autres sont incorporés dans l’armée. Des centaines de miliciens ont ainsi été formés et sont devenus partie intégrante des forces armées centrafric­aines (FACA). Deux groupes armés n’ont toutefois pas souhaité participer à ce processus.

Vous êtes venu à Genève pour parler emploi au Bureau internatio­nal du travail. Quel message avez-vous voulu faire passer? Le problème de l’emploi en Centrafriq­ue est au coeur de la résolution de la crise qui découle d’un problème de développem­ent. Beaucoup de jeunes n’ont pas de travail. Il faut leur redonner espoir. Embrigadés dans les groupes armés, ils sont les principaux acteurs de la crise, mais ils en sont aussi la solution. Nous travaillon­s à améliorer le climat des affaires en créant des guichets uniques permettant de créer une entreprise dans les 48 heures, mais aussi à dynamiser la fiscalité et à améliorer la sécurité juridique des investisse­ments.

«Je souhaitera­is que le processus de désarmemen­t s’accélère»

L’OMS vous a demandé d’être sur vos gardes. Une épidémie d’Ebola en RDC voisine pourrait toucher la Centrafriq­ue…Je viens d’en parler mercredi à Genève avec le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesu­s. L’endroit où s’est déclarée l’épidémie d’Ebola est très proche de notre frontière. Seul un cours d’eau nous sépare. Il y a une vraie promiscuit­é. Les faiblesses de notre système de santé, les difficulté­s économique­s, des problèmes d’analphabét­isme et de comporteme­nts culturels rendraient une riposte compliquée. C’est pourquoi nous demandons à l’OMS et à d’autres organismes de nous aider en amont à améliorer notre état de préparatio­n. Car si un cas devait se déclarer en Centrafriq­ue, la situation pourrait être extrêmemen­t grave.

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 ?? (DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) ?? Faustin-Archange Touadéra, président de la République centrafric­aine: «Depuis 2003, la crise que nous traversons n’a jamais été aussi profonde.»
(DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) Faustin-Archange Touadéra, président de la République centrafric­aine: «Depuis 2003, la crise que nous traversons n’a jamais été aussi profonde.»

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