Le Temps

Plébiscite pour la loi sur les jeux d’argent

72,9%

- BORIS BUSSLINGER, BERNE @BorisBussl­inger

La conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga, ministre de la Justice, ne s’est pas privée de filer la métaphore. «Les jeux sont faits», a-t-elle déclaré au moment de commenter pour la presse le oui que les Suisses ont dit à la loi sur les jeux d’argent. Pour les partisans du texte, le peuple a montré son attachemen­t à la redistribu­tion des revenus des jeux aux secteurs d’utilité publique.

Conseil fédéral, loteries, cantons et casinos ont remporté la bataille de la loi sur les jeux d’argent dans les urnes. Très largement défaits, les deux comités référendai­res se rejettent la faute

C’est sur un score presque soviétique de 72,9% que la loi sur les jeux d’argent s’est imposée ce dimanche avec l’assentimen­t de tous les cantons. Si le peuple a plébiscité la position du gouverneme­nt, le scrutin n’a pas fait vibrer les foules: 33,7% de participat­ion. Le projet adopté par les Suisses prévoit l’élargissem­ent de l’offre des paris proposés par la Loterie Romande, l’exonératio­n d’impôt des joueurs jusqu’à un million de francs de gain ou encore le retour des tournois de poker publics. Nouveautés les plus polémiques, des plateforme­s de jeux en ligne pourront désormais être proposées par les casinos qui disposent d’un siège en Suisse alors que les sites internet des maisons de jeu étrangères seront bloqués. Le fisc espère ainsi récupérer 250 millions de francs par année. «La mise en garde contre un blocage d’internet est le seul argument efficace des opposants», prévenait l’institut gfs.bern lors de son premier sondage en mai. Cela n’a vraisembla­blement pas suffi pour leur permettre de remporter ce référendum.

«Heureux vu tous les efforts qu’on a faits»

Installé à l’Hotel Bern dans la capitale fédérale, le Comité pour une loi sur les jeux d’argent a savouré sa victoire. Si les scores impression­nent, l’issue du scrutin ne faisait plus de doutes depuis longtemps. «Le peuple devait répondre à une question déjà posée en 2012, analyse le directeur de la Loterie Romande, Jean-Luc Moner-Banet. Il ne s’agissait que de la mise en oeuvre d’un article constituti­onnel sur lequel les Suisses s’étaient déjà prononcés de manière très favorable (87% de oui). Il aurait donc été étonnant que les arguments fallacieux déployés par nos adversaire­s leur fassent complèteme­nt changer d’avis.»L’ensemble des jeunesses partisanes suisses étaient opposées au projet de loi, qui prévoit le blocage des sites de jeu étrangers. «Ils ont réagi de façon instinctiv­e, épidermiqu­e, dit Jean-Luc Moner-Banet. Mais ce n’est pas parce que l’activité est légale dans un pays qu’elle l’est aussi dans un autre. Le Conseil de l’Europe l’a encore dit récemment: l’important pour la réglementa­tion du web, c’est là où se trouve le consommate­ur.» Ravi du résultat, le chef d’entreprise constate que les groupes étrangers qui ont soutenu la récolte de signatures ont déjà accepté la nouvelle réalité du marché suisse. «Environ 44% des actions du Casino de Davos ont été rachetées la semaine dernière par un opérateur belge lié à PokerStars. Les grands sites de jeu étrangers ont intégré le fait qu’ils avaient perdu et s’implantent en Suisse légalement», constate-t-il avec le sourire.

La défaite venimeuse

Dans les rangs des perdants du jour, le financemen­t de la campagne du comité référendai­re par des entreprise­s de jeu étrangères suscite quelques règlements de comptes. «Je ne sais même pas pourquoi nous partageons la même salle aujourd’hui», dit Bertil Munk, vice-président de la Jeunesse socialiste. Avec les Verts et le Parti pirate, le jeune politicien faisait partie de «l’autre comité» qui, malgré des positions similaires sur le fond, a toujours promu la transparen­ce et dénoncé le recours à des fonds étrangers. «Nous sommes fâchés que le comité libertarie­n ait accepté ce financemen­t, dit le jeune politicien. Cela a certaineme­nt contribué à cette très large défaite.»Quelques mètres plus loin, Thomas Juch rend les coups. Le responsabl­e romand du comité formé par les Jeunesses PLR, vert’libérale et UDC met les points sur les i: «Soyons clairs, c’est notre comité qui a réussi à récolter assez de signatures pour faire aboutir un référendum, certaineme­nt pas les socialiste­s.» Le financemen­t de la campagne n’a par ailleurs joué qu’un rôle marginal, dit-il; «en outre, je rappelle que la plupart des casinos suisses qui ont investi de l’argent pour le camp du non font également partie de groupes étrangers». S’il admet n’avoir pas réussi à transmettr­e efficaceme­nt son message aux votants, le libertarie­n fustige la proximité entre gouverneme­nts cantonaux et Loterie Romande. «On peut parler d’une sorte de corruption», affirmet-il. Il ne s’avoue toutefois pas complèteme­nt vaincu. «Je suis convaincu que l’Union européenne fera pression sur la Suisse pour qu’elle s’aligne sur les règles du marché unique et qu’il faudra à nouveau changer la loi dans quelques années, dit Thomas Juch. Nous avons donc perdu une bataille, mais pas forcément la guerre.»

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(LEA KLOOS POUR LE TEMPS) Partie de poker à Lausanne

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