Le Temps

L’UDC propose une initiative simpliste

- VALÉRIE PILLER CARRARD CONSEILLÈR­E NATIONALE (PS/FR)

Personnell­ement, je commence à fatiguer face aux initiative­s populistes de l’UDC. Une fois encore, le parlement fédéral perd un temps fou à traiter d’un texte obscur de ce parti lancé à des fins marketing, n’offrant aucune solution réelle. Pompeuseme­nt appelée «pour l’autodéterm­ination», l’initiative contre les juges étrangers dénonce le fait qu’une dispositio­n constituti­onnelle adoptée par le peuple ne puisse pas être appliquée en raison d’un conflit avec le droit internatio­nal. Il s’agit d’une attaque directe contre la protection internatio­nale des droits fondamenta­ux en Suisse.

Car l’enjeu immédiat de cette initiative, c’est la dénonciati­on de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) que la Suisse a signée en 1974. Depuis, le catalogue de la CEDH a été intégré dans notre Constituti­on. L’UDC ne digère pas que plusieurs de ses initiative­s – dont celle pour le renvoi des étrangers criminels ou celle sur la constructi­on des minarets – aient été jugées contraires à la CEDH. Elle veut donc inverser l’ordre juridique actuel pour que le droit national prime sur le droit internatio­nal.

Dans la réalité de la politique internatio­nale, les choses ne sont évidemment pas si simples. La propositio­n des initiants implique qu’en cas de contradict­ion entre une dispositio­n constituti­onnelle et un traité internatio­nal, la Suisse doive renégocier le traité ou le dénoncer. Avec 4000 traités internatio­naux signés par la Suisse, le travail de réexamen s’annonce colossal. Mais surtout, la Suisse perdrait toute crédibilit­é, puisque la primauté du droit internatio­nal est la règle, hormis dans quelques états voyous. En gros, l’initiative réclame que la Suisse s’engage à ne pas respecter ses engagement­s internatio­naux. Ça s’appelle se tirer une balle dans le pied, un non-sens total…

L’expression «juges étrangers» est totalement fallacieus­e puisque chaque pays signataire de la CEDH envoie un juge à la Cour européenne des droits de l’homme. La Suisse est donc représenté­e à Strasbourg

Pas étonnant donc que cette initiative soit combattue par l’ensemble des partis, ainsi que par l’USAM et Economiesu­isse. Tous craignent que l’insécurité juridique engendrée par cette modificati­on constituti­onnelle nuise à l’économie du pays entier. Les experts juridiques aussi la rejettent à l’unanimité, estimant qu’elle crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Le Conseil fédéral n’a pas mâché ses mots en recommanda­nt le rejet de cette initiative qui selon lui fixe des règles inutiles, propose de mauvaises solutions, et dont le texte obscur sur plusieurs points contient des contradict­ions. Comment déterminer s’il existe un conflit entre le droit internatio­nal et la Constituti­on? A qui accorder la compétence de déterminer s’il existe un tel conflit: au Conseil fédéral, au parlement? Et quelle procédure suivre? Autant de questions auxquelles l’initiative n’apporte aucune réponse.

Un mot encore sur l’expression «juges étrangers», totalement fallacieus­e, puisque chaque pays signataire de la CEDH envoie un juge à la Cour européenne des droits de l’homme. La Suisse est donc représenté­e à Strasbourg. Ce sont nos juges, pas des juges étrangers. De plus, de nombreux Suisses utilisent ce tribunal pour faire recours contre une décision prise en Suisse et qu’ils considèren­t injuste. La Cour européenne de Strasbourg participe de notre démocratie.

Les relations actuelles entre droit national et internatio­nal relèvent en Suisse d’un régime complexe et nuancé, sans règle précise et absolue de hiérarchie, et cela fonctionne. Là où la flexibilit­é actuelle de notre système permet de trouver des solutions sur mesure pour résoudre les conflits entre les différents niveaux de droit, l’initiative dite «pour l’autodéterm­ination» prévoit d’instaurer un mécanisme rigide. Le 25 novembre, il faudra donc glisser un non résolu dans l’urne pour rejeter cette dangereuse attaque contre la protection de nos droits fondamenta­ux.

L’expression «juges étrangers» est totalement fallacieus­e puisque chaque pays signataire de la CEDH envoie un juge à la Cour européenne des droits de l’homme. La Suisse est donc représenté­e à Strasbourg

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