A qui laisser les clés de la planète?
Des tortues hideusement déformées par des anneaux de plastique, des goélands emberlificotés dans des sacs-poubelles ou bien morts l’estomac bourré de bouchons de bouteilles… Les effroyables images de la pollution par les plastiques nous font honte.
Cette crise environnementale a quelque chose de différent. D’abord parce qu’elle est bien visible, contrairement à des gaz à effet de serre ou à des résidus chimiques. Ensuite parce que les débris nous sont bien plus familiers que des molécules échappées d’une usine ou d’un pétrolier en perdition: ce sont des bouchons de bouteilles, des cotons-tiges, des emballages que nous manipulons quotidiennement.
Ces deux particularités ont sans doute favorisé la prise de conscience mondiale qui semble émerger en ce moment. Cela fait pourtant une cinquantaine d’années que le plastique pollue les mers. Dès 1969, des biologistes alertaient déjà sur le fait que des albatros vivant à Hawaï avaient l’estomac bourré de plastique. Mais les quantités de plastique présentes dans la nature ont en quelque sorte atteint une masse critique qui fait qu’il est désormais impossible de ne plus les voir. Si le monde se décide à agir, c’est donc plus par souci de sauvegarder des lieux touristiques que pour préserver l’écosystème le plus important de la planète. Mais qu’importe, il est temps d’agir.
Certains dirigeants l’ont compris, par exemple en Europe, où dix produits (pailles, cotons-tiges, entre autres) pourraient bientôt être interdits. La Suisse n’a pas suivi. Sans doute par pragmatisme: après tout, le système de collecte de déchets fonctionne, et l’interdiction depuis 2000 de stocker le plastique dans des décharges, en faveur de l’incinération, limite la dissémination des déchets dans la nature. Avec des pertes de l’ordre de 0,3%, la Suisse figure parmi les pays les moins polluants en la matière.
Mais ce refus d’intervention au profit d’accords de branche a de quoi laisser pantois. Peut-on imaginer décision plus irresponsable que de laisser les clés de la planète à de grandes entreprises pas franchement réputées pour leur fibre environnementale? La Suisse envoie décidément un bien curieux message. Elle s’appuie souvent sur l’accord de branche de 2016 qui a rendu les sacs plastique payants, conduisant à une réduction de 84% de leur utilisation en deux ans. C’est certes un beau résultat, mais c’est aussi oublier que c’est surtout par crainte d’une motion que ces entreprises sont passées à l’action, et non en raison de velléités environnementales.
Intrinsèquement lié à la mondialisation, symbole pop de la culture du tout jetable, le plastique n’est ni une affaire industrielle, ni un défi technologique: il pose simplement une question de société. Question qui nécessite par conséquent une réponse politique. En tant que citoyens, l’exiger est légitime. Il n’en va pas de la survie des océans, mais de la nôtre. La mer, elle, survivra.
Une réponse politique est impérative