«Malgré les tensions, investir en Chine reste bénéfique»
En 1998, Gérald Béroud fondait SinOptic, un bureau de services et d’informations spécialisé dans les relations bilatérales Suisse-Chine, à Lausanne. En vingt ans, il est devenu un témoin privilégié des profonds changements en cours dans l’Empire du Milieu. Il explique que, malgré le climat de plus en plus tendu, la Chine reste un pays incontournable pour les investisseurs, où l’on peut encore faire des affaires. Tout en mettant en garde les entrepreneurs sur le problème de la contrefaçon: «Si une entreprise ne veut pas être copiée, autant ne pas aller en Chine.»
INVESTISSEMENTS En 1998, la Chine n’était pas encore membre de l’OMC. Mais Gérald Béroud n’a pas attendu 2001 pour lancer le bureau SinOptic, à Lausanne. En témoin privilégié du géant asiatique et de ses relations avec la Suisse, il analyse les qualités et les travers de l’Empire du Milieu
En 1998, Gérald Béroud fondait SinOptic, un bureau de services et d’informations spécialisé dans les relations bilatérales Suisse-Chine, à Lausanne. Une initiative audacieuse: la Chine commençait sa politique d’ouverture. Depuis, pour avoir effectué une soixantaine de séjours dans différentes régions de l’Empire du Milieu, il est devenu un témoin privilégié des profonds changements en cours. A l’occasion des 20 ans de SinOptic, le Vaudois raconte sa démarche et explique que, malgré le climat tendu, la Chine est un pays incontournable pour les investisseurs.
Racontez-nous la genèse de SinOptic. En 1986, j’ai effectué mon premier voyage en Chine, point de départ de mes tribulations chinoises. A mon retour, j’ai commencé à apprendre la langue. Par la suite, j’ai fait plusieurs séjours dans le pays. En 1998, après quelques mois à Taïwan, j’ai lancé l’entreprise SinOptic et dans le même temps le site Sinoptic. ch. Ce dernier est un portail d’informations sur les relations bilatérales Suisse-Chine. J’ai vite constaté que ce site répondait à des besoins que je ne suspectais pas, aussi bien de particuliers que de collectivités publiques, à la recherche d’informations sur la médecine chinoise, la translittération des noms chinois, les programmes informatiques, etc.
De quoi vit SinOptic? Son site internet s’est développé sans jamais recevoir un centime de subvention ou d’aide. SinOptic décroche des mandats en tous genres: organisation d’événements (séminaires, conférences), accompagnement de délégations, qu’elles soient officielles, associatives ou privées, en Chine et en Suisse, traduction de documents, cours, conférences, etc. Depuis 2005, l’Etat de Vaud et la municipalité de Lausanne me confient un mandat sur les affaires chinoises. Le canton de Vaud et la province de Jiangsu ont signé un accord de collaboration en 2010, renouvelé l’an dernier lors de la visite du président chinois, Xi Jinping, à Berne.
En quoi consiste ce jumelage? Le canton de Vaud a fait beaucoup d’efforts pour concrétiser des projets dont la demande venait à l’origine du Jiangsu. Vu les fréquents changements qui marquent le Parti communiste et l’administration depuis quelques années, il est devenu plus aléatoire de collaborer avec des partenaires chinois. Ainsi les interlocuteurs changent tout aussi souvent, si bien que plusieurs initiatives ont été abandonnées. Mais les échanges et visites demeurent, et d’autres projets sont «dans l’oléoduc». Plusieurs cantons ou villes suisses ont signé des accords de jumelage ou de partenariat. Celui entre Bâle et Shanghai est assurément le plus actif, car il bénéficie d’un engagement prononcé des autorités politiques et des entreprises bâloises, et cela depuis plus de dix ans.
Vous êtes un témoin privilégié de l’évolution de l’ouverture de la Chine durant ces trente dernières années. Comment la percevez-vous? C’est une évolution troublante. Des entrepreneurs suisses disent que la meilleure période est passée. Les entreprises étrangères ont toujours été plus surveillées et inspectées, ce qui est normal dans un sens, car on se doit, en Chine, d’être exemplaire. De manière générale, les conditions de travail des entreprises suisses que j’ai visitées toutes ces dernières années sont impeccables, les salaires supérieurs à la moyenne, les avantages de carrière aussi. Un grand nombre d’entreprises chinoises ont encore des efforts à faire pour atteindre ces standards. L’accès à internet reste souvent problématique, et les entreprises étrangères (et nos missions diplomatiques) s’en plaignent. En octobre dernier, durant le congrès du Parti communiste chinois, lorsque je suis entré dans ma chambre d’hôtel à Nanjing, une circulaire se trouvait sur ma table, indiquant que toutes les chaînes étrangères étaient coupées.
Finalement, les étrangers ne sont plus les bienvenus? Les autorités chinoises étaient beaucoup plus attentives et chaleureuses auparavant. Certaines traitent désormais des délégations étrangères avec indifférence et, ce n’est plus rare, avec dédain, ce qui aurait été impensable il y a encore quelques années. Bien sûr, on reste en général bien accueilli. Cependant, les étrangers sont parfois dépeints comme des espions qui sont à dénoncer sur des sites internet ou font l’objet de bandes dessinées mettant en garde les enfants ou les jeunes filles. Cela conjugué avec les critiques constantes et acerbes des valeurs occidentales, l’ambiance est devenue quelque peu préoccupante. Un indicateur: le nombre de Suisses en Chine baisse depuis 2013, alors qu’il avait constamment augmenté durant les dix années précédentes. Il diminue aussi à Hongkong, une première, ou presque. Faut-il y voir un effet de l’emprise grandissante des autorités centrales? La Chine demeure-t-elle importante pour les entreprises suisses? Bien sûr! Parmi de nombreux exemples, Bobst vient d’ouvrir un nouveau centre de production à Changzhou. Le climat plus tendu n’empêche pas de faire des affaires. Des entreprises suisses n’ont d’ailleurs pas le choix, alors même qu’elles savent que les conditions d’accès au marché ne sont pas garanties. Par exemple, une entreprise suisse spécialiste de revêtements pour les sièges d’avion – un produit de haute technologie – doit être présente en Chine. Elle se sait copiée par des contrefacteurs chinois. Sans s’installer sur place, elle n’aurait aucune chance d’obtenir une certification qui lui permettrait de se battre contre ses concurrents.
La contrefaçon reste donc un problème majeur? Elle est un souci permanent. Si une entreprise ne veut pas être copiée, autant ne pas y aller. Certains entrepreneurs l’affirment: si on n’est pas copié, c’est qu’on n’est pas bon! Pour l’anecdote, l’entreprise Bühler, qui fabrique entre autres des machines pour la transformation agroalimentaire, a été copiée, mais en plus avec ingéniosité. Bühler a fini par racheter ce concurrent. Les entreprises chinoises se rendent compte que leurs propres produits sont piratés et ont commencé à se protéger en exigeant, elles aussi, une application plus stricte des lois.
La Suisse a signé un accord de libreéchange (ALE) avec la Chine. Comment les entreprises suisses en bénéficient-elles? Tout récemment, l’Union suisse des paysans a indiqué qu’il n’avait qu’un impact mitigé. Economiesuisse pense le contraire. Les exportations suisses ont certes progressé ces dernières années. Mais est-ce bien grâce à cet accord? Selon un sondage conduit par SwissCham, une partie des entreprises ne l’utilisent pas, car il ne fonctionne pas au mieux et les procédures ALE s’avèrent des fois plus compliquées que l’approche usuelle.
«Les autorités chinoises étaient beaucoup plus attentives et chaleureuses auparavant. Certaines traitent des délégations étrangères avec indifférence et avec dédain, ce qui aurait été impensable il y a encore quelques années»
Les Chinois investissent aussi chez nous. Faut-il s’en inquiéter? Il est légitime que l’on se pose des questions sur tous les investissements qui se font chez nous, quelle que soit leur provenance. Les entreprises chinoises qui entendent s’installer ou reprendre une société doivent se familiariser avec un contexte peu connu, sans oublier les difficultés inhérentes à un déploiement international. Il y a aussi des investissements prometteurs: prenez les solutions de recharge intelligentes pour véhicules électriques de Green Motion, dont l’un des partenaires est le chinois Zhongding! Quoi qu’il en soit, une approche patiente et respectueuse est indispensable, comme nombre d’entreprises suisses l’ont pratiquée dans leur pérégrination vers l’est… ▅