La Russie triomphante
Vladimir Poutine a utilisé l’ouverture de la Coupe du monde de football pour se placer au centre de l’arène internationale
La Russie a parfaitement réussi son entrée dans la Coupe du monde en écrasant l’Arabie saoudite 5-0, jeudi à Moscou, pour le plus grand bonheur de Vladimir Poutine. Notre envoyé spécial a suivi le match à Samara, dans la plus grande fan-zone d’Europe. Récit.
Magnanime ou sardonique? Moscou a choisi le Britannique Robbie Williams comme vedette principale pour la courte mais impressionnante cérémonie d'ouverture. Tout un symbole, alors que Londres a refusé d'envoyer une délégation officielle à la Coupe du monde de football, pour protester contre l'empoisonnement d'un ancien espion russe et de sa fille sur le sol britannique. Pour ne pas froisser le public russe, qui n'a guère apprécié son tube Party Like a Russian, le chanteur a interprété un très consensuel Let Me Entertain You.
Alors que l'oiseau de feu des contes traditionnels russes se déployait derrière Robbie Williams, Vladimir Poutine a accueilli tout feu tout flamme une brochette de dirigeants étrangers. Au premier rang desquels figurait le prince héritier d'Arabie saoudite et ministre de la Défense Mohammed ben Salmane al-Saoud. Selon le site internet du Kremlin, Vladimir Poutine a souhaité à son hôte un joyeux Aïd el-Fitr, la fête marquant la fin du Ramadan. Pour détendre l'atmosphère, le président russe s'est dit «récalcitrant à souhaiter du succès à [son] équipe [de football]» alors qu'un match allait l'opposer à l'équipe russe pour le tout premier choc de la compétition.
Le prince héritier a évoqué «un long chemin parcouru ces dernières années en termes de développement des relations bilatérales», dans les domaines politique, économique, industriel et pétrolier. «Cette coopération fructueuse nous a sauvés de nombreux dangers», a poursuivi ben Salman al-Saoud, sans préciser de quels dangers il parlait. Les deux pays restent sur des positions antagonistes sur les dossiers syrien et relatif au nucléaire iranien.
Russie et Arabie Saoudite sont aussi les deux principaux exportateurs mondiaux de pétrole et ne coordonnent que depuis l'année dernière leurs efforts pour peser sur le cours du pétrole. La Russie, qui ne fait pas partie de l'OPEP, a accepté ces derniers mois de réduire sa production pour contribuer à faire remonter le prix du baril. Les budgets et les économies nationales des deux pays ont beaucoup souffert de la plongée des cours depuis 2013. Mais, ensemble, les deux poids lourds pétroliers ont su renverser la vapeur et faire doubler le prix du baril, passant de 40 à 80 dollars. «Je pense que le monde entier a bénéficié de cette coopération, a indiqué le prince héritier. Nous aimerions la poursuivre et aller encore plus loin.» Ce début de convergence commence à inquiéter Washington, l'allié historique du royaume wahhabite.
Mais pour l'heure, la liste des dirigeants étrangers présents à la cérémonie d'ouverture reste loin de constituer un groupe d'alliés de poids sur le plan diplomatique. Le porte-parole du Kremlin avait promis la présence de 17 chefs d'Etat, mais parmi eux figurent deux régions sécessionnistes de Géorgie non reconnues par la communauté internationale.
Au final, les pays représentés sont l'Arabie saoudite, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Bolivie, la Corée du Nord, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, le Liban, la Moldavie, l'Ouzbékistan, le Paraguay, le Panama, le Rwanda et le Tadjikistan. Il s'agit pour l'essentiel d'anciennes républiques de l'URSS et de pays d'Amérique latine. Bien indulgent sera celui qui y dénichera beaucoup de démocraties.
Main tendue à la Corée du Nord
Ce n'est d'ailleurs pas un critère primordial, pour l'indéboulonnable président russe, qui a accordé une attention toute particulière au représentant de la Corée du Nord. Etant resté dans l'ombre de la rencontre historique de mardi entre les chefs d'Etat Kim Jong-un et Donald Trump, Vladimir Poutine a tenté jeudi de reprendre l'initiative sur ce dossier. Recevant au Kremlin le président du présidium suprême de l'assemblée populaire de Corée du Nord, Kim Yong-nam, il lui a déclaré: «Je souhaiterais confirmer et vous demander de transmettre notre invitation au leader de Corée du Nord, le camarade Kim Jong-un, de faire une visite en Russie.» Le président russe a proposé une rencontre en format bilatéral en marge du Forum économique oriental, organisé à Vladivostok en septembre, ou une «rencontre séparée». Il a glissé au président du parlement nordcoréen: «Nos pays ont des relations anciennes et très bonnes. Nous marquons cette année le 70e
«Cette coopération fructueuse nous a sauvés de nombreux dangers»
MOHAMMED BEN SALMANE AL-SAOUD, PRINCE HÉRITIER D’ARABIE SAOUDITE
anniversaire de nos liens diplomatiques.»
Vladimir Poutine n'a pas à s'inquiéter. La force d'attraction de la Coupe du monde attirera probablement à lui tous les chefs d'Etat européens – à l'exception du Royaume-Uni – dont les équipes se qualifieront pour les phases finales du tournoi. Et cela en dépit du soutien à Bachar el-Assad, de la répressions des gays en Tchétchénie, des cyberattaques durant l'élection présidentielle américaine, de la responsabilité dans la destruction du vol MH17 et de l'annexion de la Crimée, qui ont tant terni l'image de la Russie. Au soir de la finale, bien que son équipe nationale n'ait presque aucune chance d'y figurer, il aura au moins remporté une victoire sur la scène diplomatique: une victoire contre l'isolement.
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