Genève compte plus d’un million d’arbres
NATURE Un projet inédit dresse l’inventaire du parc arboricole genevois. Un état des lieux qui permet de se projeter dans les conditions climatiques que connaîtra le canton en 2070
En haut: un noyer noir («Juglans nigra»), à Genthod. En bas, à g.: un charme commun («Carpinus betulus») dans un parc de Pregny. En bas, à dr.: une branche d’arbre de Judée («Cercis siliquastrum»). «Arborifier» le canton est un geste pour les générations à venir
Tout a commencé par l’interpellation d’un ministre. «Je veux planter des arbres. Dites-moi où», a demandé à ses services le conseiller administratif de la ville de Genève chargé de l’Environnement, Guillaume Barazzone. De cette interrogation est né un projet touffu et inédit – Nos arbres – qui réunit des chercheurs de l’Institut des sciences de l’environnement (Université de Genève), de la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture, des responsables du Service des espaces verts de la ville et des fonctionnaires du Département du territoire, des associations et des bureaux privés. Ce groupe d’une soixantaine de personnes crée actuellement une base de données complète du parc arboricole à Genève afin de déterminer quels rôles jouent les arbres et où il serait le plus efficace de planter certaines essences afin qu’elles vivent le plus longtemps possible. Ils publient le fruit de leur travail toutes les deux semaines sur les réseaux sociaux.
Une majesté qui induit en erreur
La première étape a été de calculer le nombre d’arbres dans le canton. Le territoire genevois en compte plus d’un million, soit deux par habitant. Cette estimation est basée sur des données obtenues par avion. La précision des images réalisées en 2009 par radar permet de repérer les végétaux individuellement. Un algorithme a été développé par les Conservatoire et Jardin botaniques de Genève, en collaboration avec un institut français. Il a permis de positionner chaque individu sur une carte du canton. Enfin, le calcul a été affiné. En forêt, le nombre d’arbres est en effet sous-estimé, de 35% environ, les grands cachant parfois les petits. En ville, les arbres isolés entraînent, eux, une surestimation d’environ 6%. La majesté de certains feuillages fait identifier plusieurs spécimens par l’algorithme là où il n’y en a qu’un.
Compter les arbres sert notamment à savoir quelles communes bénéficient au mieux de leurs bienfaits. «Les arbres fournissent de nombreux services écosystémiques. Ils contribuent grandement à notre bien-être», explique Martin Schlaepfer, coordinateur du projet et chargé de cours à l’Unige. Ils créent de l’ombre et permettent de réduire le bruit et la température en ville. L’étude en cours a ainsi permis de déterminer qu’il existe six degrés de différence entre certains quartiers, en été, selon leur couverture arboricole. Les arbres améliorent la qualité de l’air, ils offrent un habitat et des ressources à d’autres espèces vivantes ainsi que des espaces de détente aux citoyens.
Le groupe d’experts quantifie ces bienfaits – et les méfaits: le fait qu'ils sont source d’allergènes et les coûts d’entretien, notamment – selon le type et le lieu afin de déterminer où les besoins sont les plus pressants. «Pour l’Etat, c’est une manière de mieux défendre les arbres, dit Patrik Fouvy, directeur du service du paysage et des forêts au Département du territoire. Leur abattage est régulé. Mieux les connaître, identifier les zones de fragilité dans le canton permet de délivrer des autorisations à bon escient, en préservant les endroits qu’il ne faut pas toucher.» Sans compter que la cartographie porte sur l’entier du canton, domaine privé compris, des hectares dont les dendrologues cantonaux ignoraient tout jusqu’à présent.
Un climat balkanique
«Arborifier» le canton est un geste pour les générations à venir. Planter aujourd’hui nécessite donc de se projeter dans les conditions climatiques du futur. Martin Schlaepfer détaille la démarche: «Les arbres actuels vont-ils survivre dans cinquante ans, avec le réchauffement climatique? Pourront-ils tenir leur rôle de préservation de l’îlot de fraîcheur? Les espèces indigènes s’adapteront-elles ou faudra-t-il importer d’autres essences?» Pour le déterminer, un recours au concept de «villes jumelles» est nécessaire: on pense que, dans septante ans, le climat genevois sera l’équivalent de celui qui a cours actuellement au nord de l’Espagne et dans les Balkans. C’est donc dans les cités de cette partie-là du continent qu’il faut aller chercher les réponses. La population suisse vieillissant, la réduction de chaleur apportée par les arbres aura un rôle encore plus important à jouer à cette époque.
«En milieu urbain, il existe beaucoup de contraintes liées notamment à l’activité humaine, qui réduisent la durée de vie des arbres que nous plantons, rappelle Guillaume Barazzone. Pourtant, nous voulons que leur action bienfaitrice dure le plus longtemps possible. Ce projet nous aide à investir intelligemment.»
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