Règlements des comptes franquistes
HISTOIRE Les restes du général Franco devraient bientôt quitter leur sanctuaire, promet le chef du gouvernement espagnol. Cela au moment où s’ouvre à Madrid le premier procès concernant les enfants volés pendant la dictature
Un vieux sujet de polémique revient sur le tapis encombré de cadavres de l’histoire espagnole: le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez confirme qu’il veut le transfert «immédiat» de la dépouille du dictateur Francisco Franco de son mausolée situé à 50 km au nordouest de Madrid. Il l’a répété ce dimanche dans un entretien à El Pais, mis en scène avec une série de joyeuses photographies sur le web. Ce média semble en effet assez heureux de retrouver une ambiance plus proche de ses origines (centre gauche) après les années Rajoy, et le président (@sanchezcastejon) en est conscient, puisqu’il a tweeté cette interview sans rancune après une longue période où le quotidien madrilène ne l’a guère épargné.
Courrier international lui emboîte le pas en expliquant que le gouvernement – cohérent – avait déjà indiqué il y a une semaine «qu’il prévoyait de déplacer les restes» du caudillo de la Valle de los Caidos («la vallée des Morts au combat»). Ce lugubre complexe monumental avait été «construit à la demande de Francisco Franco au nom d’une prétendue réconciliation nationale, pour commémorer les combattants de la guerre civile en Espagne (19361939) qu’il a remportée».
Franco devrait donc «déménager» et être «rendu» à sa famille. Pedro Sanchez ajoute que son «gouvernement se conformera au mandat de la Chambre des députés de 2017, […] en référence à la résolution présentée par les socialistes l’an dernier, alors qu’ils étaient dans l’opposition, et qui avait été adoptée par une large majorité de députés». Mais tout de même assez déchirés, rappelait alors @Gillesenge. Ce dix ans après qu’«une loi sur la mémoire historique du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero avait prévu de dépolitiser le monument afin de le consacrer uniquement à sa vocation religieuse».
Le débat n’est donc de loin pas nouveau, car ce site demeure un haut lieu des nostalgiques du franquisme et un «monument à la victoire du catholicisme national». Thèmes qui ne manquent pas de faire resurgir la vieille garde politique conservatrice, comme l’ex-président Aznar, inquiet. Celui-ci prévient dans El Mundo: «On ne pourra pas s’arrêter là. Ensuite, c’est la transition démocratique, la monarchie et la Constitution qui seront remises en cause.» Relayé par la voix de @janguerasa, le site catalan Ara.cat en profite pour relancer son combat historique, celui d’une «province rebelle» où les séparatistes ont utilisé de longue date cette sombre période pour justifier leur viscéral anti-espagnolisme.
Plus largement, c’est une «anomalie» que relèvent trois historiens dans El Pais: «Il n’y a pas de monuments à Hitler en Allemagne ou en Autriche, ni à Mussolini en Italie.» Et cette réalité: le jour même de l’inauguration du site, le caudillo avait lui-même prétendu que «les ennemis de l’Espagne [avaient] été vaincus, mais [qu’ils n’étaient] pas morts, que régulièrement [on les voyait] relever la tête». Tous les partis politiques et institutions espagnols sont cependant accusés de faire aujourd’hui du clientélisme auprès des héritiers, relève @carlosvergaradu. Comme règlement du compte, il y aurait finalement cette idée, simple: «Laissez le mausolée s’effondrer» – il est en très mauvais état –, «laissez le temps le dévorer, après qu’on en aura exhumé le cadavre de Franco […]. Et les bénédictins pourraient aller dans un autre monastère.»
Mais les fantômes de l’histoire n’ont pas élu domicile ici seulement. Ce mardi débute le procès d’un médecin octogénaire, le premier en Espagne à comparaître pour une affaire de «bébés volés». Un trafic qui a touché des milliers de familles sous la dictature de Franco, jusqu’aux premières années de la démocratie.
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La lugubre Abadia de la Santa Cruz del Valle de Los Caidos, lieu de toutes les polémiques en Espagne, à 50 km au nord-ouest de Madrid.