Trump tord le bras de l’OTAN
Le président des Etats-Unis a mis jeudi l’OTAN au pied du mur lors d’un sommet transformé en show de téléréalité. Plus question d’accepter que les Européens ne paient pas davantage pour leur défense
Donald Trump n’a que faire des discussions entre les alliés et leurs partenaires, surtout si ces derniers sont opposés militairement à la Russie, dont il rencontrera lundi à Helsinki le président Vladimir Poutine. Il n’a donc fallu que quelques minutes et quelques mots au président américain jeudi à Bruxelles pour torpiller en fin de matinée la rencontre entre les 29 chefs d’Etat ou de gouvernement des pays de l’OTAN et leurs homologues ukrainien et géorgien.
Furieux du communiqué commun publié la veille, dans lequel la «sécurité et la solidarité transatlantique» sont réitérées en termes trop diplomatiques à son goût, assortis d’un engagement à «assumer équitablement la responsabilité de la défense mutuelle», le locataire de la Maison-Blanche n’a pas hésité, en bon animateur de téléréalité, à réclamer une conférence de presse avant tous ses partenaires pour faire le show. Tout en laissant fuiter sa détermination à quitter l’Alliance créée en 1949 si un effort budgétaire accru des alliés allant jusqu’à 4% de leur PIB pour leurs forces armées n’était consenti – un chiffre jamais évoqué jusque-là et que même les Etats-Unis n’atteignent pas.
Des déclarations triomphantes
Conséquence: début de panique au sein de l’immense QG bruxellois de l’OTAN, où le secrétaire général norvégien Jens Stoltenberg a aussitôt reconvoqué les alliés à huis clos. Un mode opératoire «trumpien» qui rappelle celui du G7 de Charleboix (Canada) en juin, lorsque le président des Etats-Unis avait fustigé le communiqué de la présidence canadienne. Au bout du compte? Des déclarations triomphantes destinées à montrer à ses concitoyens qu’ils paieront désormais moins pour l’Alliance. Un éloge des industriels de la défense américains. Et un «Je crois en l’OTAN» final bien peu convaincant. «Il estime être le patron, confirme au Temps un diplomate français. Il était venu à Bruxelles pour donner des ordres. Il lie ouvertement la sécurité de l’Europe aux échanges commerciaux. Rien d’autre ne l’intéresse que ce qu’il veut obtenir en nous tordant le bras: une baisse des dépenses militaires américaines à l’étranger, et une hausse rapide des commandes européennes.»
Impossible, en effet, de dire ce que pense réellement Donald Trump de l’Alliance atlantique qui lie depuis l’après-guerre l’Europe et les Etats-Unis. Impossible d’avoir son avis sur les menaces mondiales. Même si la Russie est de nouveau ciblée dans la déclaration officielle du sommet en raison de ses agissements en Ukraine et de ses «attaques contre l’ordre international basé sur des règles», l’ex-promoteur new-yorkais estime qu’elle est avant tout «une puissance concurrente», et que l’annexion de la Crimée «aurait dû être gérée par Obama». Son secrétaire à la défense, le général James Mattis, n’était d’ailleurs pas présent lors de sa demi-heure face à la presse aux côtés de son conseiller à la sécurité, le «faucon» moustachu John Bolton.
Pas d’autre choix que de s’accommoder de Trump
Qu’en déduire? D’abord que Donald Trump demeure, avant toute chose, un impitoyable bateleur et vendeur, pressé de démontrer à ses concitoyens qu’il règle tout en quelques heures. En répétant à plusieurs reprises que les Européens ont déjà dépensé depuis 2017 quelque 33 milliards de dollars de plus pour leur défense, le président s’est clairement adressé à tous les alliés dépourvus d’industrie militaire, pour qu’ils achètent au plus vite des armes de l’autre côté de l’Atlantique. Deuxième leçon du sommet de Bruxelles: les alliés, pris de court et divisés, n’ont pour l’heure pas d’autre choix que de s’accommoder de ce protecteur résolu à obtenir les dividendes sonnants et trébuchants de
«Il estime être le patron. Il était venu à Bruxelles pour donner des ordres. Il lie ouvertement la sécurité de l’Europe aux échanges commerciaux»
UN DIPLOMATE FRANÇAIS
ses forces déployées sur le Vieux Continent. Seule Angela Merkel, tancée par Trump en raison de l’insuffisant budget militaire allemand et de la dépendance énergétique de son pays envers le gaz russe, lui a publiquement tenu tête mercredi. En rappelant qu’elle, au moins, savait ce que signifiait la vie dans un pays annexé par l’Union soviétique.
Combien de temps ce tonitruant chantage trumpien peut-il durer? Emmanuel Macron, qui promulgue ce vendredi la loi de programmation militaire française pour les sept ans à venir, entérinant 16 milliards d’euros supplémentaires de crédit et 2% du PIB pour la défense d’ici à 2015, a préféré se féliciter des «échanges francs» et d’un «OTAN conscient des défis qui s’imposent à lui» lors de son intervention finale. Dimanche, la finale du Mondial de football entre la France et la Croatie à Moscou lui permettra de rencontrer Vladimir Poutine avant le départ de celui-ci pour Helsinki. «Jusque-là, la diplomatie américaine reste solidement à nos côtés sur le dossier de l’Ukraine. Il faut distinguer entre les postures et les actes sur le terrain. Notre allié le plus puissant reste les Etats-Unis», commentait hier une source élyséenne. En reconnaissant les «ravages» du show permanent de Donald Trump pour la confiance mutuelle…
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