L’opacité des cryptomonnaies déjouée
Les nouveaux actifs se multiplient et, s’il est relativement facile de les acheter, en examiner la valeur et les risques s’avère beaucoup plus délicat. Des sites se développent pour aider l’investisseur, mais cela reste encore insuffisant
Les cryptomonnaies sont toujours plus populaires. Elles ne représentent pourtant pas un marché sûr. Plusieurs initiatives tentent de normaliser le secteur
La popularité des cryptomonnaies ne se dément pas. Il existe plus de 1600 cryptomonnaies dans le monde. Ces devises deviennent facilement accessibles, certaines banques les proposant à leurs clients. Autre signe de l’attraction qu’elles exercent: les ICO, ces levées de fonds à mi-chemin entre l’entrée en bourse et le crowdfunding, ont permis de recueillir entre 3,8 et 5,6 milliards de dollars en 2017, selon différents sites. Pour 2018, 12 milliards auraient déjà été levés par ce biais.
Pourtant, les cryptomonnaies sont loin de représenter un marché sûr. Le bitcoin a perdu de sa valeur depuis le début de l’année. La moitié des 1600 devises recensées ont cessé d’exister ou se sont révélées être des arnaques. De même, selon une étude de Morgan Stanley, un tiers des ICO réalisées en 2017 ont mal fini. Pour les investisseurs néophytes qui s’intéressent à ce domaine, les «barrières techniques sont simplement trop élevées», explique Daniel Diemers, associé chez PwC Strategy&, selon lequel il n’existe pas suffisamment de conseils disponibles.
Plusieurs initiatives ont été lancées pour pallier ce manque. En Suisse, la Finma a publié un guide expliquant comment elle traite les demandes d’assujettissement dans le domaine des ICO. La plateforme Cryptoprofiler, créée à Zurich, cherche à transposer les services d’analyse de risques et du sentiment sur les marchés dans le monde des cryptomonnaies. Gratuite, elle permet à l’investisseur d’établir son profil de risques, puis d’avoir accès à la liste des cryptomonnaies existantes, de connaître leur capitalisation, leur score de risques et le sentiment du marché à leur égard. Autre outil: Icobench, qui vise à obtenir des informations sur les ICO prévues, en cours ou réalisées.
«Nous assistons aux premiers pas de ce marché, qui est loin d’avoir atteint sa maturité» DANIEL DIEMERS,
ASSOCIÉ CHEZ PWC STRATEGY&
C’est pour eux, d’abord, qu’ils l’ont fait. En créant la plateforme Cryptoprofiler, Gino Wirthensohn et Jelena Jakovleva voulaient répondre à leurs propres questions et à celles de leur entourage, de plus en plus intéressé par les cryptomonnaies. Or ce monde «fonctionne différemment du marché des actions», soutiennent les deux fondateurs de la start-up zurichoise Riskifier, spécialisée dans la numérisation des profils de risques pour les clients bancaires. A commencer par les réactions aux nouvelles, qui ne sont pas forcément les mêmes qu’à la bourse. Ou parce que les investisseurs sont souvent moins intéressés par les chiffres que par l’idée ou le projet derrière une ICO, ces levées de fonds, à mi-chemin entre l’entrée en bourse et le crowdfunding.
«Les gens ne comprennent pas nécessairement les risques, ces monnaies, qui sont nombreuses, sont aussi hautement volatiles», poursuivent les deux entrepreneurs, l’un Zurichois, l’autre Estonienne, soulignant aussi le risque technologique: il faut comprendre ce qui se trouve derrière une ICO pour déterminer l’intérêt d’investir. Ce d’autant, rappellent-ils, qu’il existe très peu de systèmes de protections des investisseurs.
Arnaques et parodies
On recense plus de 1600 cryptomonnaies dans le monde, dont la moitié ont cessé d’exister, se sont révélées être des arnaques ou même, parfois, des parodies, selon le site Deadcoins, qui les liste. De même, selon une étude de Morgan Stanley, un tiers des ICO réalisées en 2017 ont mal fini. Ces opérations avaient permis de lever 1,3 milliard de dollars.
Pourtant, la popularité des cryptomonnaies et des ICO est loin de décliner. Au contraire. Si, aujourd’hui, le bitcoin est loin de ses plus hauts de la fin de l’année dernière (près de 7500 dollars en fin de semaine, contre 20000), «la tendance est différente pour d’autres cryptomonnaies», ajoute Jelena Jakovleva. Elles deviennent également plus accessibles, sans pour autant disposer d’outils d’analyse. Il n’est même plus nécessaire d’avoir un portefeuille électronique (digital wallet) puisque des banques, comme Swissquote, proposent de plus en plus de ces devises à leurs clients.
Autre signe d’une popularité qui ne se dément pas, en 2017, entre 3,8 et 5,6 milliards de dollars ont été récoltés par le biais des ICO, selon différents sites qui les recensent. En 2018, la tendance s’est encore accentuée puisque près de 12 milliards auraient déjà été levés par ce biais, selon le site CoinSchedule. Si les régulateurs se sont penchés depuis plusieurs mois sur ces opérations, à l’image de la Finma, qui a publié un guide pratique expliquant comment elle traite les demandes d’assujettissement dans le domaine des ICO, cela n’en fait de loin pas un marché sûr.
L’objectif de Cryptoprofiler est de transposer les services d’analyse de risques et du sentiment sur les marchés dans le monde des cryptomonnaies. Gino Wirthensohn et Jelena Jakovleva ont ainsi créé une plateforme, gratuite, encore au stade bêta, qui permet à l’investisseur d’établir son profil de risques, puis d’avoir accès à la liste des cryptomonnaies existantes, connaître leur capitalisation, leur score de risques (calculé en fonction de la liquidité, du marché et du risque de l’émetteur) et le sentiment du marché à son égard (en fonction des interactions sur les réseaux sociaux).
Prudence de rigueur
Ce n’est pas la seule initiative pour aider à mesurer les risques associés à ce domaine. Plusieurs sites existent, notamment Icobench, pour permettre aussi d’obtenir des informations sur les ICO prévues, en cours ou réalisées. Ils publient également des avis d’internautes enregistrés sur la plateforme. Il est toutefois délicat de se fier à des recommandations de tiers inconnus pour un investissement.
Malgré le développement de ces outils, la palette reste insuffisante et les experts incitent toujours à la prudence en rappelant les grands principes d’investissement: ne pas investir davantage que ce que l’on est prêt à perdre, diversifier ses actifs, etc. «Pour l’heure, la demande est surtout le fait d’investisseurs qui connaissent bien la technologie et qui comprennent comment les cryptomonnaies, la blockchain et les ICO fonctionnent», explique Daniel Diemers, associé chez PwC Strategy&. Pour lui, «cela devrait rester un prérequis avant d’envisager d’investir dans une nouvelle classe d’actifs».
Barrières techniques
«Les gens ne comprennent pas nécessairement les risques, ces monnaies, qui sont nombreuses, sont aussi hautement volatiles»
GINO WIRTHENSOHN ET JELENA JAKOVLEVA, FONDATEURS DE RISKIFIER
Pour un néophyte, il estime que les «barrières techniques sont simplement trop élevées» et qu’il n’y a pas suffisamment de conseils disponibles. Il faut tout faire soi-même, ce qui prend du temps, voire se référer à des connaissances. Pour l’instant, «nous assistons encore aux premiers pas de ce marché, qui est loin d’atteindre sa maturité». Mais cela va changer ces prochaines années, assure-t-il. En outre, «à l’avenir, les banques, les plateformes de paiements et les gérants d’actifs vont fournir un accès plus facile aux ICO et aux cryptomonnaies». D’ici là, attendre, faire ses propres recherches ou se fier à ses amis geeks restent les options privilégiées par l’expert.
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