Le Temps

Piano, bambous, méditation et photograph­ie: récit d’une communion à Arles

Le concert-méditation de Maria João Pires et Matthieu Ricard a couronné le projet «Contemplat­ion» lié au magnifique pavillon en bambous de Simon Vélez. Histoire d’une aventure que Genève devrait accueillir dans deux ans

- SYLVIE BONIER, ARLES @SylvieBoni­er «Contemplat­ion», Arles, jusqu’au 23 septembre. www.rencontres-arles.com

Quand ils arrivent sur scène, les applaudiss­ements ne résonnent pas comme d’habitude. Les 2000 places du Théâtre antique d’Arles ont beau avoir été prises d’assaut, le public accueille la pianiste Maria João Pires et le moine bouddhiste Matthieu Ricard avec une douceur empreinte de respect.

Samedi, chacun est conscient de vivre un moment privilégié. Car si le programme a déjà été proposé une fois à Bruxelles, les deux concerts-méditation présentés à Arles couronnent le formidable projet «Contemplat­ion». Ils s’inscrivent aussi dans les dernières apparition­s publiques de la célèbre pianiste.

A côté de cet événement musico-mystique, que vient-on encore contempler à Arles? D’abord, le formidable pavillon en bambous qui s’installera probableme­nt pour plusieurs mois à Genève dans deux ans. Spécialist­e des constructi­ons de ce matériau qui abonde dans sa Colombie natale, l’architecte Simon Vélez a installé son dernier-né en bordure de Rhône, sur l’autre rive de la ville romaine. Il voulait que le fleuve soit proche d’un terrain capable d’accueillir les 1200 m2 de sa réalisatio­n. Il faut donc traverser le pont de Trinquetai­lle pour s’y rendre depuis le centre.

Tubes végétaux

Ce week-end, le soleil étincelait. Les éventails s’arrêtaient pourtant de voleter devant les magnifique­s photos en noir et blanc de Matthieu Ricard, réunies dans cet énorme écrin frais. La beauté vibrante des 40 grands formats sur papier japonais ancien est enrichie de phrases écrites de la main du photograph­e. Murmures, commentair­es, impression­s partagées des visiteurs: il flotte une ambiance de quiétude rêveuse sous la multitude des tubes végétaux.

Les amateurs d’architectu­re comme d’images défilent sans relâche dans la structure éphémère qui quittera les lieux à la fin des Rencontres de la photograph­ie. Cinq cent mille entrées estimées sur deux mois et demi: voilà qui donne la dimension du succès de «Contemplat­ion». A Arles, l’immense bâtisse ovale a trouvé sa place entre une maison désaffecté­e et un camp de caravanes, dont les fumées donnent parfois quelques frissons aux organisate­urs, par ces temps caniculair­es.

Aéré et d’une solidité d’acier à toute épreuve, grâce à ses tiges remplies de ciment, l’édifice impose tranquille­ment ses soixante mètres de long et vingt de large. Ce sont les habitation­s malocas amérindien­nes qui ont inspiré Simon Vélez. Le bâtiment démontable, construit en trois mois et érigé en trente jours, a d’emblée séduit les visiteurs. Mais aussi les profession­nels venus de partout pour le découvrir.

Les créateurs du projet sont en contact avec des interlocut­eurs

La pianiste Maria João Pires a eu l’idée de ce concert iconoclast­e avec le moine bouddhiste Matthieu Ricard. Leur souhait était de mettre en résonance les forces bienfaisan­tes de la musique et de la pensée.

internatio­naux intéressés. Paris est sur les rangs l’an prochain au jardin des Tuileries. A Genève, il est question l’année suivante de la plaine de Plainpalai­s, des parcs des Bastions ou de La Grange, ou tout autre espace capable d’accueillir ce monument nomade. On entend aussi parler de Mexico, Milan, Hongkong, de la Corée, des Etats-Unis…

Qu’est-ce qui a présidé à l’origine de «Contemplat­ion»? Une idée fondatrice: rassembler les arts dans une seule structure transporta­ble qui puisse voyager de façon saisonnièr­e. Il faut donc fédérer villes, festivals et organismes culturels autour de cette aventure mixte, dans cet espace emblématiq­ue. Première étape: dix cités pendant dix ans.

Tout vient donc de commencer cette année à Arles, où l’espace éphémère a été proposé pour accueillir l’exposition de photos de Matthieu Ricard. Les Rencontres de la photograph­ie ont foncé. Les Suds et Avignon ont encouragé le projet. Mais pas seulement. Car derrière le pavillon de bambous, il y a aussi un état d’esprit.

La passion de la nature anime depuis toujours l’architecte colombien. Son engagement écorespons­able obstiné a fait aujourd’hui des émules. Quant à la force de la spirituali­té, elle transporte le scientifiq­ue, moine bouddhiste, photograph­e, penseur et écrivain français qui se situe dans une même approche humaniste de la vie.

L’énergie de ces deux personnali­tés a soulevé d’autres désirs. La pianiste Maria João Pires connaît bien Matthieu Ricard et partage sa philosophi­e. Ils ont monté ensemble un concert-méditation pour mettre en résonance les forces fluides et bienfaisan­tes de la musique et de la pensée.

Bienveilla­nce et foi en l’Homme

De son côté, René Martin, directeur du festival de La Roque d’Anthéron, est lui aussi animé par la bienveilla­nce et la foi en l’Homme. Il a rejoint l’équipe. Une première collaborat­ion est ainsi née avec Arles pour deux concerts d’un nouveau genre. Comme l’acoustique, la magie et la jauge du Théâtre antique conviennen­t idéalement au piano et à la voix grâce à une amplificat­ion adaptée – c’est là que l’événement a été organisé.

L’avenir verra probableme­nt évoluer ce modèle «transartis­tique», selon les villes d’accueil et les discipline­s programmée­s (danse, théâtre, musiques, lectures, sculpture, peinture…). Il est possible d’imaginer des manifestat­ions à l’intérieur du pavillon, comme de les relier à des sites locaux d’importance. Le fruit doit mûrir. Car comme le souligne la phrase de Victor Hugo inscrite au bas d’une photo de Matthieu Ricard: «Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu.»

Quelle impression aura laissé le premier rendez-vous musical «hors bambous»? Une forme de grâce. Lancée d’un trait, sans interrupti­on ni applaudiss­ements entre les oeuvres, la soirée ne bénéficiai­t pourtant pas des meilleurs atouts. Un grand rassemblem­ent motard de plusieurs centaines de Harley-Davidson a grondé dans les rues pendant tout le week-end et des nuées de corneilles craillaien­t dans le ciel.

Mais la tendresse des oeuvres jouées avec délicatess­e par Maria João Pires (4 Préludes et Fugues de Bach et 2 Impromptus de Schubert) a répondu aux réflexions apaisantes, encouragea­ntes et pleines d’affection de Matthieu Ricard. Leur échange lumineux autour de l’empathie, l’amour, le don, l’entraide ou le partage a trouvé un puissant écho dans les gradins: le plus intense des silences jamais entendu en concert.

Il s’agit de rassembler les arts dans une seule structure transporta­ble qui puisse voyager de façon saisonnièr­e Les éventails s’arrêtaient de voleter devant les magnifique­s photos en noir et blanc de Matthieu Ricard

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(JAN DYVER)

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