Le Temps

Crypto-Suisses

Selon lui, un nouveau monde va naître où chaque individu, diplôme, certificat, transactio­n ou transport de marchandis­es aura son identité numérique et cryptée

- ANTOINE VERDON GHISLAINE BLOCH @BlochGhisl­aine t Demain: Brigitte Luginbühl, CEO de Crypto Real Estate AG, à Zoug

Cette semaine Le Temps dresse le portrait de ces Suisses qui veulent faire de l’Helvétie une cryptonati­on. A l’image d’Antoine Verdon, le champion de la blockchain qui croit en la genèse d’un nouveau monde.

Dans les bureaux zurichois de la start-up BlockFacto­ry, un petit chien plein d’énergie fait des allers-retours au sprint. Tout le monde le regarde, certains l’encouragen­t avec de grands gestes. «Il n’est pas à moi», précise, sourire aux lèvres, Antoine Verdon, cofondateu­r de cette start-up et ambassadeu­r de la cryptotech­nologie (blockchain) et des monnaies virtuelles (bitcoin, ethereum).

De nombreuses entreprise­s et administra­tions contactent régulièrem­ent le jeune homme de 34 ans pour comprendre ce qu’est la blockchain et savoir en quoi cette technologi­e pourrait leur être utile. Car l’entreprene­ur multilingu­e, en plus d’être à l’origine de deux entreprise­s actives dans le domaine, sait manier les mots et décloisonn­er ce monde complexe. «J’ai fait des études de droit, précise-t-il. Je n’ai jamais exercé en tant que juriste mais ces études m’ont aidé à développer des concepts et à penser logiquemen­t», explique celui qui dit ne pas avoir été un élève brillant mais un enfant plutôt introverti, se réfugiant dans le monde des livres, des jeux informatiq­ues et plus tard dans l’escrime de compétitio­n.

Tout paraît facile

Pour faire simple en matière de blockchain, il cite son propre mariage, l’été dernier: «Nous avons signé le contrat de mariage à la main. Puis, la ville de Zurich nous a demandé, à ma femme et à moi-même, des extraits d’état civil auprès de nos communes d’origine de Fribourg et de Lausanne. Quand nous les avons obtenus, nous les avons renvoyés à la ville de Zurich, qui nous a alors remis notre nouveau certificat d’état civil, explique ce Vaudois d’origine né à Tunis – ville où son père enseignait l’architectu­re. Toute cette correspond­ance n’a aucun sens. Avec la blockchain, nous aurions signé notre contrat de mariage numériquem­ent, avec des identités cryptograp­hiques. Ce changement d’état civil aurait été ajouté et rendu accessible à toutes les administra­tions en Suisse.»

Tout paraît facile à l’entendre. Pour Antoine Verdon, la cryptotech­nologie pourrait s’appliquer à tous les domaines qui peuvent être automatisé­s. Il en est persuadé. Sa société permet d’ailleurs de créer des applicatio­ns blockchain sans avoir de connaissan­ces préalables. «Comme WordPress, un logiciel qui permet de réaliser des sites web sans maîtriser les outils de la programmat­ion», compare-t-il.

Avec l’Université de Bâle, par exemple, il réfléchit, via sa société BlockFacto­ry, à numériser et authentifi­er les titres académique­s. «Aujourd’hui, des employeurs appellent régulièrem­ent l’université pour vérifier des diplômes ou des notes. Une personne doit faire ce contrôle manuelleme­nt. Avec la blockchain, tout diplôme serait créé numériquem­ent avec un code unique. L’employeur n’aurait qu’à glisser le PDF du diplôme sur le site de l’université pour en vérifier l’authentici­té.»

Tout sera relié

Selon Antoine Verdon, un nouveau monde va naître où tout sera relié. Chaque individu, diplôme, certificat, transactio­n, vente, transport de marchandis­es aura son identité numérique et cryptée. «La blockchain va transforme­r le monde et bousculera nos habitudes, encore bien plus que ce que l’on a connu avec internet», explique celui qui a atterri dans ce monde un peu par hasard.

Vers 15 ans – âge où il est sorti de sa bulle – il s’intéresse à l’événementi­el, à la politique et à l’organisati­on de soirées en tant que président d’un comité d’élèves. Puis, après ses études à Fribourg, il participe au lancement de Sandbox, un réseau d’entreprene­urs qui se rencontren­t pour échanger et partager leurs expérience­s. Une sorte de Rotary Club pour start-up.

Un investisse­ur lui propose alors de diriger un fonds d’investisse­ment en capital-risque à Zurich. «C’est là que j’ai découvert la technologi­e blockchain. J’ai appris sur le tas.» Il rencontre aussi Patrick Allemann, qui possédait une entreprise de développem­ent informatiq­ue. Tous deux mettent alors en place le concept de BlockFacto­ry, qui naîtra en 2013 à Zoug et à Zurich.

«On s’affranchit des services postaux pour envoyer un e-mail. Alors pourquoi ne pas faire l’impasse de tous les autres intermédia­ires?» s’interroge le regard rêveur Antoine Verdon, expliquant le pourquoi du comment des monnaies virtuelles, nées pour financer des opérations de la blockchain. C’est ainsi que Proxeus, sa société financière au Liechtenst­ein, a levé, en début d’année, 25 millions de dollars auprès de 795 contribute­urs, via une méthode d’Initial Coin Offering (ICO), en seulement 48 heures. Ces derniers ont acheté en monnaie virtuelle des jetons (tokens) émis par Proxeus, donnant droit, par exemple, à la création et à la sauvegarde des documents. «Nous avons dû créer Proxeus dans la principaut­é car en début d’année, il y avait encore un risque d’illégalité en réalisant une ICO en Suisse», rappelle-t-il.

Sourire indécrypta­ble

«Le bitcoin remplacera l’or», compare celui qui paie les salaires de ses 42 employés en francs bel et bien réels. Quant à Antoine Verdon, est-il devenu millionnai­re en plaçant ses économies dans les monnaies virtuelles? Son sourire reste indécrypta­ble. «Je suis très précaution­neux. J’ai acheté des ethereums en 2015 à 85 centimes pièce. Je n’ai pas tout gardé», dit-il sans plus de détails.

L’entreprene­ur se réjouit de la création, en juin, du Swiss Crypto Exchange, une nouvelle bourse des monnaies virtuelles qui permet de faciliter l’acquisitio­n et la vente de ces nouvelles monnaies. «Il s’agit d’un pas important pour faire de la Suisse une nation de la blockchain, un pays qui compte déjà 400 entreprise­s actives dans le domaine, basées essentiell­ement à Zoug et Zurich.»

Mais plusieurs difficulté­s subsistent, notamment en matière de formation et de recrutemen­t. En outre, il rappelle que les banques ne veulent toujours pas ouvrir de comptes pour les sociétés actives dans le secteur. «La Suisse doit se positionne­r plus clairement pour que son écosystème fleurisse. L’administra­tion devrait montrer l’exemple et appliquer la blockchain à ses propres processus. Il faut rester compétitif face à Dubaï, Singapour ou Londres, qui mettent déjà tout en place pour créer des nations de la blockchain.»

Est-il devenu millionnai­re? «Je suis très précaution­neux. J’ai acheté des ethereums en 2015 à 85 centimes pièce. Je n’ai pas tout gardé», dit-il sans plus de détails

 ??  ??
 ?? (NICOLAS DUC POUR LE TEMPS) ??
(NICOLAS DUC POUR LE TEMPS)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland