Le Temps

Les silences complices d’un cardinal chilien

- CHRISTINE LEGRAND, BUENOS AIRES (LE MONDE)

Ricardo Ezzati, cardinal et archevêque de Santiago, est soupçonné d’avoir couvert des actes de pédophilie commis par des prêtres de son diocèse

L’Eglise catholique est de nouveau dans la tourmente au Chili où, pour la première fois, un cardinal a été mis en accusation, le 25 juillet, pour avoir couvert des prêtres pédophiles. Cité à témoigner devant la justice, le 21 août, Ricardo Ezzati, cardinal et archevêque de Santiago, n’en a pas moins célébré, le 26 juillet, une messe dans la cathédrale de Santiago, au cours de laquelle de nombreux fidèles ont brandi des pancartes pour protester contre les abus sexuels commis par des prêtres de différente­s congrégati­ons.

Mgr Ezzati est soupçonné d’avoir couvert Oscar Muñoz, un curé de 56 ans accusé d’avoir abusé au moins de sept mineurs entre 2002 et 2018, dans les villes de Santiago et Rancagua, au sud de la capitale. M. Muñoz a été placé en détention provisoire, le 12 juillet, pour six mois, en attendant que l’enquête judiciaire progresse. Il était notamment chargé, au sein de l’archevêché de Santiago, de recevoir les déclaratio­ns de victimes d’abus sexuels commis par des prêtres.

Mgr Ezzati est également soupçonné d’avoir couvert Fernando Karadima, un prêtre octogénair­e ayant abusé de nombreux enfants et adultes. Ancien formateur de prêtres charismati­que, Fernando Karadima a été reconnu coupable, en 2011, par un tribunal du Vatican d’avoir commis des actes pédophiles dans les années 1980 et 1990. Il a été contraint de se retirer pour mener une vie de pénitence.

L’ensemble de la hiérarchie ecclésiale démissionn­e

Au total, 158 personnes – évêques, prêtres mais aussi laïcs liés à l’Eglise – sont ou ont été visées par des enquêtes pour abus sexuels sur des mineurs et des adultes depuis les années 1960, selon des chiffres dévoilés par la justice le 23 juillet. Trente-six enquêtes sont toujours en cours, a indiqué le procureur général Luis Torres.

Depuis 1960, le parquet général a recensé 266 victimes, dont 178 étaient mineures. «Dans leur grande majorité, les faits dénoncés correspond­ent à des agressions sexuelles commises par des curés de paroisse ou des personnes liés à des établissem­ents scolaires», a précisé le procureur Torres.

L’énorme scandale de pédophilie qui ébranle le clergé chilien avait poussé l’ensemble de la hiérarchie ecclésiale du pays – soit 34 évêques – à présenter, le 18 mai, sa démission au pape, une démarche inédite. Le souverain pontife a jusqu’à présent accepté la démission de cinq évêques, dont celle du très controvers­é monseigneu­r Juan Barros, soupçonné d’avoir caché les actes de pédophilie, dans les années 1980 et 1990, de Fernando Karadima, mais qui nie toute responsabi­lité. Au cours des derniers mois, le pape a reçu plusieurs victimes de Karadima au Vatican.

Devenu le symbole de la crise de l’Eglise chilienne, Mgr Barros a démissionn­é début juin, après une marche arrière spectacula­ire du pape par rapport à son voyage au Chili, en janvier, quand le souverain pontife l’avait défendu avec force, dénonçant des «calomnies» à son encontre. L’opinion publique avait été scandalisé­e par l’omniprésen­ce de Mgr Barros dans les messes célébrées par François.

Le souverain pontife avait luimême nommé cet évêque dans le diocèse d’Osorno en janvier 2015, malgré les réserves formulées à l’époque par des experts de la commission vaticane de protection des mineurs.

«Mea culpa» du pape

Par la suite, le pape avait reconnu de «graves erreurs» de jugement, à la lecture, en avril, des conclusion­s de 2300 pages d’enquête, dont 64 témoignage­s. «Honteuseme­nt, je dois dire que nous n’avons pas su écouter et réagir à temps», avait-il reconnu, le 31 mai, dans une lettre de mea culpa adressée aux Chiliens.

Un autre scandale a éclaté le 24 juillet. Au cours d’une émission de la chaîne de télévision chilienne TVN, 23 anciennes religieuse­s ont dénoncé avoir été victimes, «pendant des années», d’abus de la part de prêtres au sein de la congrégati­on des soeurs du Bon Samaritain dans la région de Maule, au sud de Santiago. Elles affirment avoir été expulsées de leur couvent.

Elles ont précisé avoir parlé, en janvier, devant l’archevêque de Malte, Charles Scicluna, envoyé par le pape pour écouter les victimes d’abus au sein de l’Eglise chilienne, mais affirment n’avoir pas reçu, jusqu’à présent, de réponse officielle du Vatican.

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