Le Temps

Comment se protéger en cas de guerre commercial­e

- QUAERO CAPITAL

Les dommages potentiels d’une guerre commercial­e globale sont difficiles à évaluer précisémen­t. Tout d’abord parce qu’il existe peu de précédents historique­s, et ensuite parce que l’impact dépendra largement de la nature du conflit. En effet, la situation est bien différente selon que l’on en reste aux niveaux actuels ou que le conflit escalade, voire qu’il dégénère en une guerre commercial­e totale, avec une hausse massive des droits de douane.

Même sans aller jusqu’à la guerre commercial­e totale, de nouveaux tarifs douaniers américains sur les automobile­s étrangères et une taxation de 10% sur 200 milliards de dollars d’importatio­ns en provenance de Chine feraient perdre plus de 1% à la croissance économique mondiale et plus du double en Chine et aux Etats-Unis. De plus, l’inflation mondiale augmentera­it de 15 à 30 points de base, voire 70 pour les Etats-unis et la Chine en cas de guerre totale.

La baisse de la demande pourrait faire chuter le prix du baril à 50-60 dollars, avec un impact négatif net de 35 points de base sur la croissance américaine. Des suppressio­ns d’emploi auraient lieu dans les mines et le secteur manufactur­ier aux Etats-Unis et en Chine, ainsi que dans l’automobile, au niveau mondial. Enfin, la hausse des droits de douane réduisant les marges et les ventes, des licencieme­nts importants seraient certaineme­nt à craindre dans la distributi­on.

Naturellem­ent, une guerre commercial­e de grande ampleur pèserait lourdement sur les marchés boursiers, qui pourraient baisser de 20 à 25% selon les régions, notamment en Europe, où l’automobile et les matériaux seraient particuliè­rement touchés. Sur le Vieux-Continent, c’est d’ailleurs la Suisse qui est le pays le plus dépendant de la demande américaine, avec une exposition d’environ 25%, principale­ment à travers la pharma, qui représente près du tiers de la capitalisa­tion boursière du SMI. Viennent ensuite le Royaume-Uni et l’Allemagne, où les automobile­s et les matériaux seraient touchés. A eux trois, ces marchés ont une plus grande exposition aux Etats-Unis que le marché européen dans son ensemble.

L’industrie et l’énergie touchées

Pour savoir quels secteurs seraient touchés, on peut regarder ce qui s’est passé au moment des inquiétude­s commercial­es de cet été. Pendant les journées les plus volatiles, ce sont ainsi les matériaux, l’industrie et l’énergie qui ont le plus souffert. A l’inverse, les secteurs qui se sont le mieux comportés ont été les biens de consommati­on, l’immobilier et les services publics, les seuls à avoir gagné du terrain.

Du point de vue géographiq­ue, les pires résultats sont à mettre au compte du Brésil, de la Chine et de la Russie. Dans l’ensemble, les entreprise­s industriel­les et les fabricants de biens d’équipement américains seraient particuliè­rement affectés, étant déjà en baisse cette année à cause des incertitud­es commercial­es, mais la distributi­on et l’habillemen­t souffrirai­ent également.

Aux Etats-Unis, les représaill­es chinoises nuiraient par ailleurs aux secteurs des semi-conducteur­s, de la technologi­e, de l’automobile et des pièces détachées, ainsi qu’aux marques de consommati­on. A l’inverse, ce sont les domaines de la santé, de l’immobilier, des financière­s, des biens de consommati­on courante et de l’infrastruc­ture qui devraient s’en sortir le mieux dans le cas d’une crise commercial­e totale au niveau mondial.

L’infrastruc­ture, un abri sûr?

Même si une baisse de la demande et un recul du PIB mondial auraient un impact légèrement négatif sur les producteur­s d’électricit­é et les compagnies des eaux, une hausse des droits de douane n’aurait toutefois pas d’effet direct, car la production d’électricit­é est principale­ment de nature domestique. Les énergies renouvelab­les seraient moins affectées que l’énergie fossile ou nucléaire, tandis que le transport de gaz souffrirai­t avec l’ensemble du secteur. Le traitement des déchets étant lié au PIB et aux prix des matériaux, il devrait sous-performer.

A l’inverse, grâce à leurs formules de fixation des tarifs, les services publics les plus réglementé­s sont corrélés positiveme­nt avec l’inflation et devraient donc profiter d’une hausse du niveau des prix. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux se traitent en fonction de l’écart entre leur rendement du dividende et les taux des obligation­s gouverneme­ntales, et un environnem­ent de baisse des taux devrait ainsi leur être favorable.

Pour leur part, les actions de ports et de logistique dans des pays comme Hongkong, pour qui le commerce internatio­nal représente une part importante du PIB, pourraient reculer. En revanche, l’infrastruc­ture des télécommun­ications, comprenant les tours téléphoniq­ues, les câbles souterrain­s et sous-marins, les satellites et le stockage de données, devrait rester largement à l’abri.

De son côté, le secteur du transport présente une image contrastée. Semblables aux services publics, les autoroutes à péage pourraient ainsi bénéficier de taux d’intérêt en baisse et d’une hausse de l’inflation. Dépendant du trafic des poids lourds, elles sont toutefois sensibles à un ralentisse­ment économique. Les aéroports profitent globalemen­t de vents favorables, avec une augmentati­on de la capacité des compagnies aériennes, et ils ne devraient pas trop souffrir, car leurs tarifs sont liés à l’inflation et parce que la plupart couvrent en totalité leur exposition aux taux d’intérêt.

En ce qui concerne les chemins de fer, les entreprise­s japonaises, essentiell­ement concentrée­s sur le transport de passagers, ne devraient pas être trop affectées. En revanche, les compagnies australien­nes, principale­ment actives dans les matières premières, devraient sous-performer. Malgré la forte croissance de leurs revenus, de leurs tarifs de fret et de leurs marges, les entreprise­s américaine­s sont fragiles, car leur progressio­n est liée au très fort développem­ent du transport de pétrole par rail et de matériaux utilisés pour le «fracking», la fracturati­on hydrauliqu­e. De plus, le transport de produits forestiers et agricoles destinés à l’exportatio­n pourrait aussi être affecté, mais cela pourrait être compensé par une baisse des coûts du carburant et elles pourraient donc surperform­er malgré tout.

On le voit, si la guerre commercial­e déclenchée par Donald Trump devait prendre de l’ampleur, de nombreux segments de l’infrastruc­ture pourraient mieux résister que les autres secteurs et pourraient même sortir gagnants. Voici donc, outre ses avantages intrinsèqu­es en termes de visibilité et de stabilité, une raison de plus de s’intéresser de plus près à ce domaine d’activité.

«Une guerre commercial­e de grande ampleur pèserait lourdement sur les marchés boursiers, qui pourraient baisser de 20 à 25% selon les régions» Jean-Claude Juncker et Donald Trump le 25 juillet à la Maison-Blanche. Une rencontre pour désamorcer les tensions commercial­es entre l’Union européenne et les Etats-Unis.

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(SAUL LOEB/AFP PHOTO)
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JEAN KELLER

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