Le Temps

Adela Villanueva, mission: initier les entreprise­s à la blockchain

ADELA VILLANUEVA

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

Elle aide les entreprise­s à apprivoise­r les nouvelles technologi­es. Ses clients sont très intéressés par la blockchain et d’autres avancées, mais ils ont surtout besoin d’un changement de mentalité et de se dire «¡vamos!»

Mon entreprise doitelle intégrer la blockchain?» A la plateforme genevoise d’innovation Fusion, Adela Villanueva répond quotidienn­ement à cette question. Qui est généraleme­nt suivie par cette autre: «Au fait, c’est quoi la blockchain, exactement?» Après un an à son poste de directrice exécutive, la pétillante Espagnole de 36 ans relève qu’à Genève, «les gens sont entreprena­nts, ils ont envie de faire des choses, réfléchiss­ent à intégrer les nouvelles technologi­es, même si leurs connaissan­ces sont peut-être moins mûres qu’à Singapour, San Francisco ou New York», des endroits où elle a travaillé après ses études, à Lyon et à Paris notamment. Mais le moment de passer à l’action est venu, milite-t-elle.

Au bout du lac, une blague circule dans les milieux «crypto»: à Genève, la blockchain est un peu comme le sexe lorsqu’on a 15 ans. Tout le monde dit qu’il le fait mais personne ne l’a encore fait. Une bonne partie de la mission d’Adela Villanueva consiste justement à aider des entreprise­s – pas seulement des start-up – à franchir le pas. C’est-à-dire intégrer de nouvelles technologi­es, mais «seulement lorsqu’elles représente­nt la bonne solution et créent de la valeur», tempère-t-elle dans un français parfait et un débit espagnol.

Le danger de l’effet de mode

«Ce qui se passe beaucoup aujourd’hui, notamment avec la blockchain, c’est que les entreprise­s veulent utiliser de la technologi­e, mais sans vraiment savoir pourquoi. C’est peut-être juste un effet de mode et, en réalité, la solution à leur problème passe parfois par autre chose, par exemple la création d’un nouveau service», poursuit la spécialist­e en transforma­tion numérique, qui a notamment travaillé dans l’engagement des clients à Paris pour des multinatio­nales comme McDonald’s ou Kellogg’s et à Singapour avec des marques comme Samsung et Philips.

La plateforme Fusion fournit notamment des cours sur la blockchain et du conseil en matière d’ICO, ces levées de fonds en échange de jetons numériques. Parmi les chantiers figure la création d’une communauté de développeu­rs qui créeraient la base technologi­que de futurs projets menés par des entreprene­urs «coachés» au sein de Fusion.

Face à des interlocut­eurs «parfois un peu perdus devant la technologi­e, qui réduisent souvent la blockchain au bitcoin», Adela Villanueva mise sur les cas concrets et le design thinking. Cette théorie centrée sur l’utilisateu­r, elle l’a apprise à la prestigieu­se université américaine Stanford, où enseigne justement David Kelley, le concepteur de la «pensée design», en bon français.

Trouver les besoins, même inconscien­ts

Par opposition à l’approche classique qui consiste à construire un produit en se concentran­t sur la technologi­e, le faire évoluer pour essayer de le vendre, «il s’agit pour une entreprise de connaître les consommate­urs sans savoir vraiment où on va, étudier les personnes, connaître leurs besoins qui ne sont pas couverts par le marché et seulement ensuite créer un nouveau produit pour y répondre», illustre celle qui a également passé du temps en immersion dans la Silicon Valley. Bref, «trouver ce que les consommate­urs ne savent pas qu’ils veulent ou ce dont ils ont besoin, mais qu’ils veulent».

Côté cas pratiques, son parcours n’en manque pas, entre Asie, Europe et EtatsUnis. A Stanford, elle a étudié le projet LinkNYC, qui visait à remplacer les cabines téléphoniq­ues par un réseau de bornes interactiv­es fournissan­t un accès gratuit à internet. «Les bornes avaient été construite­s, au prix d’un important investisse­ment, mais personne ne les utilisait. Ce produit était remarquabl­e, très technologi­que, mais on ne savait pas à quoi il servait», se souvient Adela Villanueva, qui a phosphoré en 2017 avec des étudiants pour trouver une utilité à ces bornes. Une des approches retenues consistait à les destiner aux touristes n’ayant pas d’accès à internet.

C’est d’ailleurs cette expérience américaine menée pro bono, faute d’avoir obtenu un visa, qui l’a indirectem­ent conduite à Genève. Le jour où elle et son mari banquier décident de quitter les Etats-Unis, Adela reçoit un message du patron de Fusion, Sal Matteis, qui veut la débaucher. Les futurs «partners in crime» se rencontren­t un jeudi et elle commence à Fusion le lundi suivant, en juillet 2017.

Numériser la vie suisse

Une autre partie importante de son travail au sein de Fusion consiste à trouver des start-up prometteus­es et à les accélérer, notamment en leur faisant profiter du réseau de Fusion. A aider des start-up suisses à aller dans le reste du monde et inversemen­t à aider des entreprise­s étrangères à s’établir en Suisse, par exemple comme porte d’entrée sur l’Europe.

«La vie quotidienn­e est encore peu numérisée en Suisse, beaucoup de choses doivent encore être faites sous forme papier, donc le pays offre beaucoup d’opportunit­és, analyse-t-elle. Mais quand on parle de la Suisse avec des start-up étrangères, leur première réponse concerne le coût de la vie ici. Mais elles savent aussi qu’il y a beaucoup d’innovation et de capital disponible en Suisse, c’est un atout, même s’il faudrait davantage de capital-risque. Et il faudrait aussi faire davantage pour aider des entreprene­urs étrangers à s’implanter ici.»

Lorsqu’on mentionne les différents projets genevois liés à la blockchain, parfois sous l’impulsion des autorités, elle répond sous l’angle de l’état d’esprit: «La Suisse doit passer de l’étape «je veux faire» à «je fais», on arrête de parler et on fait, que ce soit pour la blockchain, l’IoT ou l’intégratio­n de start-up étrangères». En résumé, le bout du lac a besoin d’un changement de mentalité, d’un basculemen­t vers un principe simple: «On y va!»

Mais on devra y aller pas à pas, reconnaît-elle, et «en utilisant la formule CocaCola pour les organisati­ons: 70/20/10». Elle consiste à consacrer 70% d’un budget et des efforts pour intégrer à court terme ce qui permet d’accélérer l’activité immédiatem­ent; 20% pour appréhende­r des éléments qui changeront le marché dans les deux prochaines années, et enfin 10% pour financer des projets très risqués, avec la possibilit­é qu’ils rapportent beaucoup à l’avenir – autrement dit, selon les mots d’Adela Villanueva, «ce qu’il faut absolument regarder pour être sûr que vous n’allez pas mourir dans cinq ou dix ans». En Suisse, concrétise­r ces 10% serait déjà un bon premier pas, conclut-elle.

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«Il s’agit de connaître les consommate­urs sans savoir vraiment où on va, étudier les personnes, connaître leurs besoins qui ne sont pas couverts par le marché, et ensuite créer un nouveau produit pour y répondre»

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(NICOLAS DUC POUR LE TEMPS)

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