Le sport suisse à l’épreuve des dérapages racistes
Comme le sprinter fribourgeois Pascal Mancini, accusé de racisme et interdit de championnats d’Europe d’athlétisme, les sportifs qui dérapent risquent souvent la sortie de piste, sanctionnés par des fédérations qui craignent de plus en plus la puissance d
Relayer des propos déplacés, racistes ou homophobes sur les réseaux sociaux coûte leur réputation et leur statut à de nombreux athlètes dans le monde. Le sprinter Pascal Mancini en fait les frais ces jours. Il n’ira pas aux championnats d’Europe la semaine prochaine à Berlin Le sprinter fribourgeois Pascal Mancini fait l’objet d’une procédure disciplinaire de Swiss Athletics, qui lui a retiré sa licence avec effet immédiat. En cause: des «contributions d’extrême droite» sur sa page Facebook, selon le comité central de la fédération. Le sportif d’Estavayer-le-Lac a notamment publié une vidéo d’une horde de singes après la victoire de l’équipe de France à la Coupe du monde de football.
En 2014, il avait reproduit sur la ligne d’arrivée du 100 mètres des championnats de Suisse puis des championnats d’Europe le geste de la «quenelle», symbole d’allégeance à l’humoriste controversé Dieudonné, condamné pour incitation à la haine et propos antisémites.
Ce n’est pas le premier athlète suisse qui défraie la chronique. Lors des JO de 2012, le Valaisan de la Nati Michel Morganella avait fait part de sa rage sur Twitter à la suite de la défaite contre la Corée du Sud: «Je défonce tous les Coréens, allez tous vous brûler bande de trisos.» Et à l’étranger, les cas de sportifs empêtrés dans des scandales similaires sont nombreux.
L’affaire Mancini soulève de nouvelles questions pour les fédérations sportives et les athlètes. Comment concilier célébrité et opinions inavouables? Et sur quels critères, au juste, punir les moutons noirs?
«Les médias veulent me détruire à cause de mes opinions» PASCAL MANCINI
SUR SA PAGE FACEBOOK
Il est regrettable que Pascal Mancini n'ait pas été autorisé à courir le relais 4 x 100 m aux prochains championnats d'Europe d'athlétisme. Le voir bras dessus, bras dessous, souriant, et peutêtre médaillé, avec Suganthan Somasundaram, d'origine srilankaise, et Alex Wilson, né en Jamaïque, aurait sans doute constitué le plus cinglant désaveu de ses prises de position politiques. Une suspension le conforte aujourd'hui dans la certitude d'avoir raison seul contre tous. Mais Swiss Athletics pouvait-elle faire autrement?
Mardi 31 juillet, la fédération suisse d'athlétisme a décidé d'exclure le sprinter d'Estavayer-le-Lac de la sélection pour les championnats d'Europe (du 6 au 12 août à Berlin), d'abord du relais 4 x 100 m, puis du 100 m individuel pour lequel il avait réalisé les minima. «Pascal Mancini a récemment publié des contributions controversées avec des idées d'extrême droite sur sa page Facebook, violant à la fois la convention signée avec Swiss Athletics et la charte éthique de la fédération», explique Swiss Athletics dans un communiqué publié dans la nuit de mardi à mercredi. En signant cette convention, le Fribourgeois s'était engagé à s'abstenir de publier des contributions discriminatoires ou racistes dans le cadre de l'athlétisme. La fédération lui retire sa licence «avec effet immédiat» et «jusqu'à nouvel avis», le temps d'une «procédure disciplinaire» ouverte à son encontre.
Connu de longue date pour ses sympathies nationalistes et son accointance avec l'extrême droite, Pascal Mancini pensait s'en sortir en dissociant sur Facebook son activité d'athlète de sa condition de citoyen. Il jouait de plus en plus souvent dans le registre de l'insinuation et du laisser-dire plutôt que de se risquer à livrer clairement le fond de sa pensée. Mais a-t-il pour autant franchi les limites définies par la loi? En sport, la question du droit à la liberté d'expression est complexe, sensible et très souvent délicate à trancher, plus encore depuis que les réseaux sociaux offrent une caisse de résonance capable en quelques jours de transformer un problème en scandale international. Swiss Athletics a estimé cela incompatible avec «l'engagement pour un sport fair-play et respectueux» qu'elle prône mais n'a agi qu'après un article dénonciateur du Sonntagsblick. «De tels remous n'aideront pas l'équipe à se préparer sereinement à Berlin», a admis le chef de la communication, Beat Freihofer, à l'ATS.
Viré des Jeux olympiques
Le sport suisse est peu habitué à de tels scandales. Pour retrouver trace d'un cas semblable, il faut remonter aux Jeux olympiques de Londres de 2012. Après la défaite face à la Corée du Sud (1-2) le 29 juillet, le défenseur de l'équipe de Suisse de football Michel Morganella se lâchait sur Twitter en écrivant (traduit du verlan): «Je défonce tous les Coréens, allez tous vous brûler bande de trisos.» Tollé général quasi immédiat. Le lendemain, Swiss Olympics lui retirait son accréditation et l'excluait du Village olympique, avant même le troisième et dernier match. Morganella rédigea par la suite une lettre d'excuses mais ne fut plus rappelé en équipe nationale avant le 6 février 2013 par Ottmar Hitzfeld, qui avait parlé six mois plus tôt de «faute lourde, impardonnable». Il semblait surtout craindre le dégât d'image et les répercussions sur l'équipe. En 2014, juste avant la Coupe du monde au Brésil, l'Association suisse de football (ASF) obligea les joueurs à suivre un cours de sensibilisation et à signer une charte de bonne conduite.
A l'étranger, l'année 2018 a été marquée par de nombreuses affaires similaires. En janvier, l'Open d'Australie débuta par une polémique: faut-il débaptiser la Margaret Court Arena, ainsi nommée en 2003, depuis que l'ancienne grande championne australienne se répand en propos homophobes? Lors de sa dernière sortie, la femme aux 24 titres en simple en Grand Chelem (record tous genres confondus) avait affirmé que le tennis féminin est «plein de lesbiennes» et que les enfants transgenres sont l'oeuvre «du Diable». C'en est trop pour Billie Jean King: «Je suis une femme gay. Si je jouais encore, je ne jouerais pas sur ce court», déclara l'ancienne numéro un mondiale américaine. Interrogée par Le Temps, Martina Navratilova confirma des propos tenus quelques jours plus tôt dans le New York Times, assurant que la place de Margaret Court-Smith reste au Hall of Fame («Ses opinions homophobes n'atténuent pas ses performances») mais pas en haut d'un stade. «Baptiseriez-vous un nouveau bâtiment à son nom maintenant? Non, aucune chance.» Bien embêtée par cette histoire, Tennis Australia avait invité Margaret Court Smith, aujourd'hui pasteur, à assister au tournoi mais fut sans doute soulagée par son refus. Le directeur de l'Open d'Australie, Craig Tiley, indiqua que débaptiser le stade ne pourrait être qu'«une décision du gouvernement australien».
«Vous mettez des gens dans des boîtes»
Une semaine plus tard, une nouvelle polémique apparut en même temps que Tennys Sandgren. Vainqueur de Stan Wawrinka au deuxième tour puis de Dominic Thiem en huitième de finale, cet Américain inconnu devint subitement l'attraction du tournoi. En quête d'infos originales sur la belle histoire de la quinzaine, la presse mondiale rembobina son fil Twitter et découvrit derrière le p'tit gars du Tennessee un chrétien fervent proche des milieux ultra-conservateurs, homophobe («Mes yeux saignent encore», en sortant d'un club gay), relais de la théorie du complot, et suiveur de figures de l'extrême droite américaine. Il tenta d'abord de désamorcer la bombe («Partager ne veut
En sport, la question du droit à la liberté d’expression est complexe, sensible et très souvent délicate à trancher
Faut-il débaptiser la Margaret Court Arena depuis que l’ancienne grande championne australienne se répand en propos homophobes?
pas dire adhérer») puis supprima dix-neuf mois de tweets en une nuit. Des captures d'écran avaient déjà été faites, évidemment. Battu au tour suivant par le Sud-Coréen Hyeon Chung, Tennys Sandgren quitta alors la scène avec un certain cran. En conférence de presse, il critiqua non sans raison la capacité des médias à s'emballer sans nuance. «Vous voulez mettre les gens dans des boîtes pour pouvoir ordonner le monde selon vos idées préconçues. Dans vos esprits, mon sort a été scellé par une poignée de follows et de likes. Vous déshumanisez avec des stylos et du papier.»
Les convictions religieuses sont également à la base des propos homophobes de la star du rugby australien Israel Folau. Au printemps, l'arrière des Wallabies a posté sur Twitter la vidéo d'un prêche de l'évangéliste américain David Wilkerson mettant en garde contre «les perversions sexuelles indescriptibles» du mariage gay. Quelques mois plus tôt, alors que l'Australie votait sur le sujet, il affirma plusieurs fois son opposition à l'union homosexuelle et ne retira jamais ses propos par la suite. «Ce n'est pas juger que de prévenir les gens qu'ils risquent le châtiment éternel s'ils continuent de vivre dans le péché. Ça s'appelle de l'amour, je ne m'excuserai pas d'obéir à la voix de Dieu», estime-t-il.
Sa position place la Fédération australienne de rugby dans l'embarras, comme l'a expliqué sa présidente, Raelene Castle, sur la chaîne Fox Sports. «D'un côté, il y a le droit de chacun d'exprimer son opinion, qu'elle soit religieuse ou autre, et de l'autre, il y a la question de savoir si c'est fait d'une manière respectueuse ou non. C'est là-dessus que nous allons nous pencher.» Israel Folau est sous contrat avec Rugby Australia jusqu'à la fin de l'année. L'un des sponsors, la compagnie aérienne Qantas, fait pression pour qu'il ne soit pas reconduit, mais la fédération se passera-t-elle de sa star pour la Coupe du monde l'an prochain au Japon?