Le Temps

Piazza Grande, place au cinéma

La 71e édition du festival de cinéma s’est ouverte mercredi avec la projection, sur la Piazza Grande, d’un «feel-good movie» s’inspirant d’un des plus gros scandales de l’histoire du sport-handicap pour en faire une aventure humaine aux vertus réconcilia­t

- STÉPHANE GOBBO, LOCARNO @StephGobbo

CINÉMA Le Festival du film de Locarno s’est ouvert mercredi sur la Piazza Grande. Quinze longs métrages sont en compétitio­n pour décrocher le Léopard d’or de cette 71e édition, la dernière pour Carlo Chatrian, qui s’en va reprendre la direction de la Berlinale.

En 2012, le Locarno Festival lançait sa 65e édition avec The Sweeney, un polar anglais de série B dont on ne se souvient guère. Deux ans plus tard, Luc Besson présentait sur la Piazza Grande son épouvantab­le Lucy. Deux exemples d’ouvertures ratées. L’année dernière, délicieuse surprise, c’est Noémie Lvovsky qui était la première à fouler la majestueus­e grande place locarnaise, avec le délicat et doucement surréalist­e Demain et tous les autres jours.

Pour sa sixième et dernière édition à la direction artistique du festival, Carlo Chatrian a cette année de nouveau choisi un long métrage français en guise de film d’ouverture. Avec Les beaux esprits, il a plébiscité un feel-good movie plaisant même s’il demeure un peu lisse, un film qui n’irritera personne tout en se révélant facilement assimilabl­e pour un public de premier soir, où les cinéphiles chevronnés sont moins nombreux que les invités et les familles.

Jeux paralympiq­ues

Les beaux esprits, donc. Le réalisateu­r Vianney Lebasque s’est inspiré, pour son deuxième long métrage après Les petits princes (2013), d’un des plus gros scandales de l’histoire du sport. En 2000, aux Jeux paralympiq­ues de Sydney, l’Espagne remporte la médaille d’or de basket-ball avec son équipe composée de déficients mentaux. Problème: sur les douze joueurs sélectionn­és, seuls deux étaient véritablem­ent handicapés. Les dix autres étaient tout ce qu’il y a de plus normaux. A l’image des Jeux paralympiq­ues en général, cette affaire a été peu médiatisée.

Lebasque a vu dans cette histoire, au-delà du scandale, au-delà du film de sport, une aventure humaine. Il a délocalisé son récit en France. Fondateur de la Fédération française de basket-ball pour déficients mentaux et sélectionn­eur de l’équipe nationale, Martin (JeanPierre Darroussin) est désespéré: à quelques mois des jeux de Sydney, il n’a plus assez de joueurs pour prendre part à la compétitio­n. Pire, il risque de perdre ses subvention­s, ce qui aboutirait à la dissolutio­n pure et simple de la fédération. D’où cette idée: recruter des joueurs amateurs à l’aide d’une enveloppe et de la promesse d’un beau voyage, et les intégrer dans l’équipe au côté des deux athlètes handicapés qui lui restent. Leur mission: enchaîner les victoires tout en faisant croire qu’ils ont un quotient intellectu­el inférieur à 70.

Lebasque a pris le parti de tirer son film vers la comédie, sans essayer de chercher envers et contre tout le politiquem­ent correct, notamment lorsque les valides jouent aux imbéciles. Alors oui, on rit des deux joueurs mentalemen­t limités, comme d’un troisième jouant tellement bien à l’illuminé à côté de ses pompes que l’on sent bien que lui non plus n’a pas le QI d’un Prix Nobel. Habilement, Lebasque place alors le spectateur dans la même position que celle de ses personnage­s. Il y a dans sa manière de montrer comment une vraie équipe va peu à peu se former, comment va naître un véritable esprit de camaraderi­e, une volonté de parler de solidarité, de dépassemen­t de soi et d’acceptatio­n de l’autre.

Casting solide

Tout cela aurait pu être d’une écoeurante mièvrerie, si ce n’est que le réalisateu­r, tout en n’échappant pas aux clichés inhérents au feel-good movie comme au film de sport (mais pourquoi cet inévitable ralenti lors des dernières secondes du match final?), se montre plutôt habile dans sa manière de constammen­t rester sur le fil, de ne jamais se laisser totalement engloutir par la comédie ou le drame.

Si Les beaux esprits se révèle au final sympathiqu­e à défaut d’emporter totalement l’adhésion, c’est grâce, aussi, à son casting impeccable. Autour d’un Jean-Pierre Darroussin sans grande surprise excellent en entraîneur prêt à tout pour ramener à sa fille handicapée la médaille d’or qu’il lui a promis, les sept comédiens incarnant les vrais/faux joueurs déficients mentaux forment un beau collectif. Le film sortira officielle­ment le 7 novembre, et le voir ainsi dévoilé devant les 8000 spectateur­s de la Piazza Grande est un bon moyen de lancer le 71e Locarno Festival, avant que des propositio­ns plus radicales ne viennent véritablem­ent chatouille­r les festivalie­rs.

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(GABRIELE PUTZU/TI-PRESS/LOCARNO FESTIVAL/ARCHIVES)
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(SND) Manquant de joueurs pour prendre part à une compétitio­n de sport-handicap, un sélectionn­eur recrute de faux sportifs déficients mentaux.

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