Mais encore…
Foot et filiation, la chronique de Servan Peca, un retour sur les turbulences de l’ORTF durant l’été 68, les mots fléchés et le sudoku.
L’Office de radiodiffusion-télévision française se met en grève à la suite d’une couverture très problématique des événements de mai. Au début du mois d’août, une immense charrette sanctionne les meneurs
L icenciements à l’ORTF: épurations ou répression.» Titre terrible que celui d’un tout petit article, qui fleure bien mauvais les régimes autoritaires ou racistes. Peu de choses filtrant de la blindée Maison de la radio à Paris, la notule d’info figure en dernière page de la Gazette de Lausanne du 2 août 1968 – elle est signée «Intérim», comme on le faisait à l’époque lorsque le correspondant officiel était indisponible. Il y a le feu à l’Office de radiodiffusion-télévision française, qui symbolisait, entre 1964 et 1974, le monopole de l’Etat sur l’audovisuel. Les émeutes de mai avaient créé l’étincelle, trois mois plus tard c’est la curée.
Depuis mai, la gauche dénonce une communication instrumentalisée, par un Office accusé de mensonge, de partialité, de collusion avec le pouvoir et la police. Mais en son sein, le mécontentement est aussi très fort, le personnel et la majorité des journalistes (gaullistes) se mettent en grève entre le 13 et le 25 mai, jusqu’au 23 juin, avec des programmes minimums. La situation dégénère, l’ORTF semble désormais ingouvernable, et un collaborateur rigide, proche du général de Gaulle, est appelé en catastrophe pour reprendre le gouvernail de ce navire qui prend l’eau de toutes parts.
Sous prétexte d’économies et de compressions de personnel, à Paris, des dizaines de journalistes de l’actualité sont licenciés, et d’autres mutés. Cela provoque, écrit la Gazette, «malgré l’apathie des vacances, de sérieux remous dans la presse française». La CFDT parle de «répression sans précédent dans l’histoire» des médias, mais le Secrétariat d’Etat à l’information «se défend d’avoir voulu sanctionner les grévistes», soit un tiers des journalistes au total.
Si le premier ministre, Maurice Couve de Murville, voit l’ORTF comme une structure «lourde et trop coûteuse», personne n’est dupe: «le couperet de la direction» s’abat sur «les journalistes qui se sont signalés comme meneurs de la grève». Les célèbres Robert Chapatte et Roger Couderc, François de Closets et même Léon Zitrone sont sur la sellette. Seul ce dernier en réchappera, et les trois autres finiront par revenir à la télévision, sur TF1 ou Antenne 2, une fois l’ORTF mort et enterré, éclaté en sept sociétés différentes afin de satisfaire aux exigences internes et du public sur des médias qui finiront par se rendre beaucoup plus indépendants du gouvernement.
Mais pour l’heure et «en tout état de cause, plusieurs journalistes qui, durant la grève, ont poursuivi le travail ou ont même pris leurs distances avec les grévistes, ont déjà été l’objet de promotions»: Jacqueline Baudrier, qui était très contestée par ses collègues en mai-juin et qui animera avec Alain Duhamel le débat Giscard-Mitterrand en 1974 dans les studios d’un ORTF agonisant; Edouard Sablier, qui ne restera que neuf mois à son poste de direction de l’info télévisée; ou Jean-Louis Guillaud, qui contribuera à la naissance de FR3 et fera ensuite carrière directoriale à TF1 puis à l’AFP. La France entrait (enfin) dans la modernité.
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