Le Temps

La Chine fait plier les alliés de Taïwan

GÉOPOLITIQ­UE La pression monte sur l’île. Pékin a obligé 44 compagnies aériennes à lui refuser le statut de pays et a fait annuler les Jeux olympiques de la jeunesse, qui devaient s’y tenir en 2019

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

Les derniers récalcitra­nts ont jeté l’éponge à la fin de la semaine dernière. Les 44 compagnies aériennes qui proposent des vols à destinatio­n de Taïwan ont toutes cessé de faire référence à l’île comme un pays indépendan­t, se pliant à un ultimatum fixé par Pékin au 25 juillet. Certaines ont tenu jusqu’au bout, comme les américaine­s Delta, American et United Airlines. D’autres, à l’image de Swiss, ont obéi au diktat de Pékin en mai déjà. D’autres encore ont fait du zèle, comme la hongkongai­se Cathay Pacific, qui indique désormais sur son site internet que Taïwan appartient à la Chine.

22 millions de francs pour un stade

Ce n’est que le dernier avatar d’un assaut mené par Pékin contre cette île qui bénéficie d’une indépendan­ce de facto depuis 1949, avec notamment sa propre monnaie et son propre gouverneme­nt. Fin juillet, la Chine a obtenu que le Comité olympique pour l’Asie de l’Est révoque le droit concédé à Taïwan d’organiser les Jeux olympiques de la jeunesse. Ils devaient se tenir à Taichung en 2019. La ville avait déjà dépensé 677 millions de dollars taïwanais (22 millions de francs) pour construire un stade.

Pékin fait aussi pression sur les organisate­urs des Gay Games, qui auront lieu à Paris en août, pour qu’ils interdisen­t aux athlètes taïwanais de déployer leur drapeau. «Ce sont des tentatives pour détruire la souveraine­té de Taïwan et l’effacer de la carte mondiale», a réagi le Ministère des affaires étrangères de l’île la semaine dernière.

Plus tôt cette année, Pékin a convaincu deux des derniers alliés de l’île – la République dominicain­e et le Burkina Faso – de lui tourner le dos en rompant leurs relations diplomatiq­ues avec Taipei. Plusieurs entreprise­s se sont également fait taper sur les doigts, dont la chaîne de magasins japonais Muji, le détaillant de mode espagnol Zara et l’hôtelier américain Marriott, pour avoir utilisé le terme «Taïwan» sur leur site internet ou leurs biens.

La Chine a toujours cherché à ramener l’île dans son giron. Mais tant que cette dernière ne s’avisait pas de déclarer son indépendan­ce, le statu quo était toléré. «L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping a changé les règles du jeu, indique Willy Lam, un politologu­e de l’Université chinoise de Hongkong. Il se perçoit comme le Mao du XXIe siècle et cherche à ce titre à parachever l’unificatio­n de tous les territoire­s chinois sous l’égide de Pékin.» Il s’est fixé comme horizon temporel 2033, ce qui devrait coïncider avec la fin de son règne.

Politique pro-Taïwan de Trump

Il n’hésitera pas à employer la force s’il le faut, jugent la plupart des observateu­rs. Ces derniers mois, les forces aériennes et navales chinoises ont mené plusieurs exercices militaires à proximité de l’île. En avril, la télévision étatique chinoise a montré des images de troupes envahissan­t un faux village taïwanais recréé pour l’occasion.

«La Chine cherchera sans doute à éviter une invasion de l’île, de peur que cela ne pousse les EtatsUnis à intervenir, et privilégie­ra des frappes chirurgica­les pour forcer Taïwan à accepter la réunificat­ion», estime un bon connaisseu­r du dossier. La bataille aura aussi lieu en ligne. Le 3 juillet, le site du Parti démocrate progressis­te (PDP), au pouvoir à Taïwan, a été attaqué, vraisembla­blement par des hackers affiliés à Pékin. L’année dernière, l’armée chinoise a orchestré une campagne de trolling contre certains politicien­s et diffusé des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux taïwanais, selon un rapport du Reuters Institute de l’Université d’Oxford.

L’arrivée au pouvoir en 2016 de la présidente Tsai Ing-wen, qui refuse de reconnaîtr­e la politique de la Chine unique défendue par Pékin, a exacerbé une situation déjà explosive. «La tension est encore montée d’un cran avec l’élection de Donald Trump, qui a choisi d’adopter une politique pro-Taïwan», précise Willy Lam. Ces derniers mois, le gouverneme­nt américain a passé une loi autorisant ses hauts fonctionna­ires

Une affiche qui prône la participat­ion de Taïwan en tant que pays indépendan­t et non pas «Taipei chinois» aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. «La Chine cherchera sans doute à éviter une invasion de l’île et privilégie­ra des frappes chirurgica­les pour forcer Taïwan à accepter la réunificat­ion» UN CONNAISSEU­R DU DOSSIER

à effectuer des visites officielle­s sur l’île, a promis de lui vendre de l’armement et a inauguré un bâtiment officiel à Taipei qui ressemble à s’y méprendre à une ambassade.

Du côté des citoyens taïwanais, l’humeur est de plus en plus orageuse. «Il y a quelques années, le pays comptait encore un important camp pro-réunificat­ion, composé notamment des Chinois qui avaient gagné Taïwan dans les années 1940 en compagnie des forces du Kuomintang, explique Willy Lam. Mais la plupart sont désormais décédés et la jeune génération est de plus en plus anti-Pékin.» Un sondage réalisé en 2016 a montré que 59% de la population se sent exclusivem­ent taïwanaise, contre 18% en 1992.

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(TYRONE SIU/REUTERS)

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