Le Temps

Avec Astana, une réconcilia­tion financière

Les relations politiques entre la Suisse et le Kazakhstan ont connu quelques tumultes. Sur le plan économique, le développem­ent de ce pays d’Asie centrale intéresse les investisse­urs suisses

- BERNARD WUTHRICH, DE RETOUR D’ASTANA @BdWuthrich

Le Kazakhstan: l’évocation du nom de ce pays d’Asie centrale provoque toujours la gêne dans les couloirs du Palais fédéral. Car il est lié à des jeux d’influence douteux en relation avec la présence sur sol suisse de ressortiss­ants kazakhs tombés en disgrâce auprès du président Noursoulta­n Nazarbaïev, à la tête de l’Etat depuis son indépendan­ce en 1991. Des politicien­s suisses ont été «travaillés» par des lobbyistes, dont l’ancien ambassadeu­r Thomas Borer et une collaborat­rice de l’étude Burson-Marsteller, pour qu’ils intervienn­ent au parlement et posent des questions sur les agissement­s de ces exilés kazakhs. L’ancienne présidente du Conseil national Christa Markwalder (PLR/BE) et l’ex-conseiller national Christian Miesch (UDC/ BL) ont dû se justifier dans ce cadre.

Le cas de ce dernier est toujours en suspens. Soupçonné de corruption passive et d’acceptatio­n d’avantages, il est l’objet d’une demande de levée de son immunité parlementa­ire par le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC). Il lui est reproché d’avoir facturé à Thomas Borer la somme de 4635 francs pour un abonnement général CFF en contrepart­ie du dépôt d’une interpella­tion intitulée «Détourneme­nt présumé de fonds publics de la République du Kazakhstan. Que fait la Suisse?». Dans cette interventi­on désormais classée, il interrogea­it le Conseil fédéral sur l’état de l’enquête menée contre Viktor Khrapounov, ancien maire d’Almaty – capitale de l’Etat avant son transfert à Astana – qu’il présentait comme «un chef de clan soupçonné d’avoir fait main basse sur des centaines de millions de francs de fonds publics au Kazakhstan et de les avoir transférés à l’étranger» alors que lui-même affirme n’être qu’un dissident.

Christian Miesch a toujours affirmé qu’il avait déposé cette interpella­tion «de son propre chef», mais il a été soupçonné d’avoir été inspiré par le lobbyiste. La Commission de l’immunité du Conseil national est entrée en matière sur la demande du MPC le 19 juin, mais a décidé de ne pas lever l’immunité de l’ex-parlementa­ire bâlois, jugeant que les faits reprochés ne constituai­ent pas une «infraction grave». La Commission juridique du Conseil des Etats se prononce à son tour le 21 août.

Si, sur le plan politique, les relations entre la Suisse et le Kazakhstan, qui font partie du même groupe de vote à la Banque mondiale et au FMI, ont été plombées par ces affaires, la situation se présente différemme­nt sur le terrain économique. Neuvième plus grand pays de la planète en superficie, mais peuplé de seulement 18 millions d’habitants, le Kazakhstan a des rêves de grandeur. Il espère tirer profit du projet de nouvelle Route de la soie piloté par son grand voisin chinois et affiche des ambitions internatio­nales pour sa nouvelle capitale Astana. L’Exposition internatio­nale a accueilli 3,8 millions de visiteurs l’an dernier et l’Astana Internatio­nal Financial Centre (AIFC), qui en est le prolongeme­nt et a été inauguré récemment par le président Nazarbaïev, attise la curiosité d’investisse­urs potentiels. Le ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, et ceux qui l’ont accompagné lors de sa récente mission économique en Asie centrale s’y sont arrêtés.

Comme il l’avait expliqué au Temps en juin, le gouverneur de l’AIFC Kairat Kelimbetov espère bien attirer les investisse­urs suisses. Les deux grandes banques, UBS et Credit Suisse, sont déjà présentes à Astana. Et les représenta­nts des banques privées qui ont fait le voyage avec Johann Schneider-Ammann ne sont pas restés indifféren­ts au potentiel de ce centre qui veut se positionne­r comme le hub financier d’Asie centrale. Pour la clientèle européenne, l’AIFC a un visage, celui de Timur Onzhanov. Chargé du développem­ent des affaires et de l’acquisitio­n des clients, ce jeune Kazakh connaît bien la Suisse. Fils de diplomate, il a fait son gymnase à Berne avant de poursuivre ses études à l’Université de Saint-Gall. Et c’est en dialecte alémanique qu’il s’entretient avec les visiteurs suisses.

Succession à régler

Il rappelle que la structure juridique de l’AIFC se fonde sur le droit anglais et inclut une bourse et une cour d’arbitrage internatio­nale. «Notre région est un petit marché, mais nous souhaitons qu’il soit bien doté en services financiers et voulons que tout soit en ordre du point de vue réglementa­ire», souligne-t-il. L’AIFC espère attirer non seulement des banques, mais aussi des gestionnai­res d’actifs et des spécialist­es de la fintech, notamment ceux de la «Crypto Valley» zougoise. «L’AIFC s’est doté d’un Expat Centre qui s’occupe de tout: conditions d’accueil, visas en cas d’établissem­ent durable, enregistre­ments divers, scolarisat­ion», détaille Timur Onzhanov.

Ce brain drain, cette volonté d’attirer des cerveaux, Heinz Karrer, le président d’economiesu­isse, l’a bien ressentie lors de son passage au Kazakhstan. Au moment du bilan, il relève la «stabilité politique» de ce pays, mais elle est due au fait que Noursoulta­n Nazarbaïev tient son pays d’une «main de fer» et «le thème de la corruption reste fort dans la région». Or le président, réélu à une majorité soviétique de 97,7% en 2015, est âgé de 78 ans. La plupart des observateu­rs espèrent qu’il réglera mieux sa succession que Hugo Chavez au Venezuela.

La tour Bayterek, conçue par l’architecte star Norman Foster, est l’un des symboles de la capitale du Kazakhstan, Astana. Le pays veut se positionne­r comme le hub financier d’Asie centrale et attirer les investisse­urs étrangers. Le Kazakhstan espère tirer profit du projet de nouvelle Route de la soie piloté par son voisin chinois

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(DAVIDE MONTELEONE/LAIF)

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