Marcello Foa, président de la Rai à tout prix
Ecarté par la Commission de vigilance du groupe audiovisuel public italien, le journaliste italo-suisse pourrait quand même en prendre la tête
Une manoeuvre inimaginable ailleurs. Même s’il n’a pas obtenu de la commission parlementaire les deux tiers des votes qu’exige la loi pour la ratification de sa nomination à la présidence de la Rai, le groupe audiovisuel public italien, Marcello Foa pourrait tout de même en prendre les rênes. Selon la presse de la Péninsule, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, mise sur un détail juridique de la nouvelle loi sur les nominations de la Rai pour imposer son homme.
«Travailler à la méritocratie»
Au moment de l’annonce de sa nomination par le gouvernement de coalition Ligue du Nord-Mouvement 5 étoiles le 27 juillet, «fier et touché», sur son profil Facebook, l’intéressé s’était d’emblée engagé à «travailler à la méritocratie et à rendre le service public véritablement proche des intérêts et des besoins des citoyens», prenant pour argent comptant l’officialisation de sa nomination le 1er août. C’était compter sans l’opposition de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, qui n’a pas apprécié de ne pas être consulté sur le choix du candidat.
Marié, père de trois enfants, Marcello Luigi Foa, qui jouit de la double citoyenneté suisse et italienne, est né en 1963 à Milan et a grandi à Lugano. Après avoir obtenu son diplôme de sciences politiques à l’Université de Milan, il a commencé sa prolifique carrière en 1984 à la Gazzetta del Ticino (disparue en 1996). Dès 1989, il a travaillé pour le quotidien italien Il Giornale jusqu’en 2011, pour ensuite devenir directeur général de Timedia Holding SA, le plus important groupe éditorial du Tessin, et du quotidien Corriere del Ticino (CdT). Depuis 2012, il est administrateur délégué de la société éditrice du CdT. Il a collaboré avec de nombreux médias internationaux (BBC, Arte, Russia Today, la Rai…), tout en enseignant le journalisme dans des universités à Milan et au Tessin, où il a cofondé en 2004 l’Observatoire européen du journalisme.
De gros doutes quant à son impartialité
Son formidable parcours n’a pas suffi à tenir Marcello Foa à l’écart de la polémique. Neuf jours avant l’annonce de sa nomination comme candidat pour diriger la Rai, il signalait sur son blog qu’il attaquerait en justice L’Espresso, jugeant diffamatoire une enquête publiée dans l’hebdomadaire italien révélant notamment ses prétendus liens avec la Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles.
Au Tessin, Foa est aussi controversé pour ses rapports avec la Ligue du Nord et son chef Matteo Salvini, ainsi que ses positions pro-Poutine, pro-Trump et anti-européennes. On lui reproche également d’avoir participé à la diffusion de fausses informations. En début de semaine, Matteo Caratti, rédacteur en chef de La Regione, l’autre quotidien tessinois, écrivait: «Pour demeurer crédible, Marcello Foa devra se tenir loin des fake news qu’il a déjà contribué à diffuser par le passé dans les colonnes du CdT». Il se demandait par ailleurs comment un journaliste avec des prises de position aussi marquées serait en mesure d’assurer l’impartialité à la tête de l’organe public italien d’information et de culture.
Rédacteur à la plateforme indépendante en ligne GAS Social, spécialisée dans l’approfondissement de l’information, Marco Narzisi estime la perspective de voir Marcello Foa aux rênes de la Rai «inquiétante». Depuis plus de deux ans, il le suit de près. «Nous avons démontré qu’il a créé et diffusé des fake news, dont certaines retentissantes. Alors qu’aujourd’hui les populismes voyagent grâce aux fausses informations, nous sommes perplexes. On ne parle plus du CdT, mais bien du service public italien», souligne-t-il, ajoutant que GAS Social relève depuis longtemps ses accointances avec la «galaxie de l’extrême droite européenne».
Malgré ces critiques, Marcello Foa bénéficie de nombreux soutiens et admirateurs. En témoignent les centaines de commentaires sur les réseaux sociaux qui ont accueilli sa nomination où sont louées de façon récurrente tant son «honnêteté intellectuelle» que sa «liberté d’opinion».
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JOURNALISTE