La Suisse boude le traité contre les armes nucléaires
Après avoir pesé le pour et le contre, le Conseil fédéral est d’avis que la Suisse ne doit pas ratifier cette convention pour l’instant. Mais le parlement a aussi son mot à dire
Le Conseil fédéral refuse de signer le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires «à l’heure actuelle». Il se dit prêt à reconsidérer sa position ultérieurement, «au plus tard en 2025», et a décidé que la Suisse se placerait pour l’instant dans une position d’«observatrice». Voilà le message qu’il transmet à la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats (CPE), qui doit examiner en cette fin de semaine une motion de Carlo Sommaruga (PS/GE) qui demande que la Suisse signe et ratifie ce traité. «Profondément déçu», le conseiller national genevois compte désormais sur le Conseil des Etats pour faire pression sur le gouvernement.
Sa motion avait été acceptée en juin par le Conseil national. A cette occasion, le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, avait qualifié de «radicale» la démarche proposée par le traité d’interdiction. Pour motiver sa décision de mercredi, le Conseil fédéral s’appuie sur un rapport de douze pages commandé à un groupe de travail dans lequel plusieurs départements fédéraux étaient représentés. Dans ce document, les arguments en faveur et en défaveur de la signature de cette convention sont passés en revue. Les considérations humanitaires et pacificatrices plaideraient pour que la Suisse ajoute son nom à la liste des 59 pays qui l’ont déjà signée et des 11 qui l’ont ratifiée (sur 122, dont la Suisse, qui l’ont adoptée à l’ONU en juillet 2017). Le traité pourrait par ailleurs être perçu comme un «signe d’opposition à l’importance grandissante des armes nucléaires» et n’aurait aucune conséquence économique négative. Voilà pour les avantages.
Trois voisins sur quatre sont opposés
Mais, aux yeux du Conseil fédéral, les désavantages l’emportent. Le traité n’aurait «pratiquement aucun effet sur le désarmement», les Etats détenant l’arme nucléaire ainsi que la plupart de leurs alliés n’ayant pas l’intention d’adhérer à cette charte «dans un avenir prévisible». Selon le Conseil fédéral, la Suisse compromettrait son rôle de «bâtisseuse de ponts» si elle signait ce document qui, de surcroît, comporterait des risques du point de vue de la sécurité du pays et du continent dans la mesure où il risquerait d’affaiblir militairement «les puissances nucléaires occidentales et leurs alliés» et d’avoir des «répercussions politiques négatives sur les relations militaires bilatérales». Le rapport souligne que l’Allemagne, la France et l’Italie ont manifesté une «opposition ferme» au traité d’interdiction, qui a cependant été ratifié par l’Autriche.
«Le Conseil fédéral abandonne son rôle pionnier en matière de droit humanitaire et se met en contradiction avec le CICR et l’ONU. Et c’est un mépris certain pour la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), une ONG basée à Genève, lauréate du Prix Nobel de la paix», critique Carlo Sommaruga. Présidente de la CroixRouge suisse, l’ancienne chancelière de la Confédération Annemarie Huber-Hotz est elle aussi déçue. «J’aurais été fière de voir le Conseil fédéral prendre une décision plus courageuse. Nous continuerons d’insister pour que la Suisse signe ce traité», commente-t-elle. «Il entrera en vigueur tôt ou tard et posera un nouveau standard», ajoute Carlo Sommaruga.
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