Les zones d’ombre à 7 milliards de l’affaire GAM
Le plus grand gérant d’actifs indépendant de Suisse est dans la tourmente suite à la suspension d’un responsable. L’homme s’occupait de l’une de ses plus importantes stratégies. Les raisons invoquées ont semé le trouble. Décryptage
C’est la saga de l’été zurichois. Fin juillet, le gérant d’actifs GAM a sorti la place financière de sa torpeur en annonçant la suspension de l’un de ses gérants. Depuis, l’affaire oscille entre confusion et mystère sur ce qu’il s’est vraiment passé, faisant plonger l’action, dont le cours a été divisé par deux depuis le début de l’année.
«Cela peut aussi mettre les spécialistes des relations clients sur la défensive ou freiner des décisions d’investissement» ANDREAS VENDITTI, ANALYSTE CHEZ VONTOBEL
Récapitulons. L’affaire prend une telle ampleur parce que le responsable mis sur la touche n’est pas n’importe qui. C’est une star. Basé à Londres depuis 2009, Tim Haywood est responsable de la stratégie dite «absolute return» – qui signifie que des rendements sont générés quel que soit l’état des marchés financiers. Il s’agit de la deuxième plus importante pour le groupe puisqu’elle compte autour de 7,3 milliards de francs sous gestion (11 milliards si l’on tient compte des mandats institutionnels). Au total, GAM dit gérer 163,8 milliards et compter 900 employés.
La nouvelle a créé un tel vent de panique que les investisseurs se pressent de retirer leurs placements avant que GAM ne soit contraint de geler le fonds. «Lorsqu’un fonds change de gérant, il est courant que des investisseurs souhaitent récupérer leur argent», souligne Andreas Venditti, analyste spécialiste du secteur financier chez Vontobel.
La suite étonne davantage. Après le gel, GAM publie un Q&R censé apaiser ses clients et investisseurs. Problème: le questionnaire soulève plus d’interrogations qu’il n’offre de réponses. On y apprend que le gérant a utilisé son e-mail personnel pour son travail, qu’il n’a pas respecté la politique de dépenses et de gratifications de l’entreprise, qu’il a signé seul des décisions qui nécessitaient deux paraphes et qu’il n’a pas toujours réalisé la «due dilligence» qui s’imposait lors d’investissements. GAM précise n’avoir aucun doute sur l’honnêteté de son employé et précise ne pas avoir constaté de dommages «matériels» pour les clients.
Pour beaucoup dans le secteur, à l’exception peut-être du dernier point, il ne s’agit pas d’actes susceptibles d’entraîner une suspension, décision jugée «radicale» par l’analyse Tomasz Grzelak de Baader Helvea. «Il devait y avoir des raisons pour cela», ajoute-t-il. Celles invoquées ne convainquent visiblement pas. Certains évoquent alors des investissements exotiques ou une trop grande part d’actifs illiquides, le tout étant difficile à vérifier, le détail des placements étant complètement opaque, comme souvent dans les hedge funds. La présence d’actifs illiquides pourrait s’expliquer par la difficulté à trouver des actifs qui offrent un rendement intéressant, d’autant plus que la taille du fonds est grande.
Le mythe du trader star
Un connaisseur du secteur invoque la tendance de GAM à cultiver le mythe du trader star, à qui on laissait beaucoup (parfois trop) de liberté, plutôt que de cultiver le travail d’équipe. «A-t-il eu trop de liberté? C’est difficile à dire. Mais c’était l’un des gérants les plus connus, il avait une position importante dans l’entreprise et sa stratégie était même encore plus importante en termes de fonds sous gestion il y a quelques années», ajoute Andreas Venditti.
Pour la société, cet épisode, qui promet encore quelques rebondissements, n’est clairement pas «de nature à soutenir sa marque», ajoute Tomasz Grzelak. Il faudra néanmoins attendre encore quelques semaines pour mesurer l’impact, continue-t-il. Qui pourrait s’étendre au-delà de la stratégie absolute return: «Toutes les discussions tournent autour de ce sujet, même pour les clients qui sont investis dans d’autres fonds. Cela peut aussi mettre les spécialistes des relations clients sur la défensive ou freiner des décisions d’investissement», reprend Andreas Venditti. Seule certitude: les fonds concernés vont tous être liquidés, a annoncé GAM en fin de semaine dernière.
Vers une vente de GAM?
Ce n’est pas la première difficulté qu’affronte Alexander Friedman, le patron de GAM. Au début de l’été déjà, il a dû annoncer un avertissement sur les profits en raison de pertes liées à une acquisition. Il avait aussi affronté l’an dernier une rébellion de plusieurs actionnaires, échaudés par les niveaux de rémunération de la direction.
GAM a une particularité: un actionnariat très concentré qui pourrait décider de jeter l’éponge. Les rumeurs sur une vente possible ne se sont que renforcées ces derniers jours. Problème: qui se profilerait? «Pas une banque, plutôt un autre gérant d’actifs», estime Andreas Venditti. Mais même là, il a des doutes: «Il faudrait évaluer, qu’est-ce qu’il achèterait concrètement?» Pour l’heure, les actionnaires se font discrets. Aucun n’a voulu s’exprimer sur la possibilité d’une vente.
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