Un nouvel insecticide affecte la reproduction des bourdons
Le sulfoxaflor était envisagé comme une alternative possible aux «tueurs d’abeilles» que sont les néonicotinoïdes, des insecticides très répandus. Las! Il altère aussi le succès reproductif d’un pollinisateur important, le bourdon terrestre
Les pesticides n’en finissent pas de défrayer la chronique. Le 10 août, un tribunal californien condamnait ainsi le géant Monsanto (groupe Bayer) à verser 289 millions de dollars à un jardinier frappé par un cancer du système lymphatique, attribué à son exposition à des herbicides à base de glyphosate. Aujourd’hui, c’est à un autre risque que s’intéresse une étude publiée dans la revue Nature: quel est l’effet sur les insectes pollinisateurs d’une nouvelle génération d’insecticides à base de sulfoximine?
On connaissait déjà les méfaits d’une classe d’insecticides très utilisée, les néonicotinoïdes – ou «tueurs d’abeilles», des neurotoxiques qui s’attaquent au système nerveux des insectes. Mis sur le marché dans les années 1990, les néonicotinoïdes sont appliqués par enrobage des semences. Mais ils se disséminent rapidement dans l’environnement. Leur nocivité sur les pollinisateurs est bien documentée. Par exemple, ce constat alarmant: en Europe, les populations d’insectes ont chuté de près de 80% en moins de trente ans, a montré une étude en 2017. Au rang des accusés, les nouvelles méthodes de protection des cultures – dont l’usage des néonicotinoïdes.
Un casse-tête
Sur cette base, l’Union européenne a décidé le 27 avril 2018 d’interdire trois néonicotinoïdes (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame) sur toutes les cultures de plein air. «En Suisse comme en Europe, dès fin 2018, ces trois produits ne pourront plus être utilisés que sous serres fixes fermées», précise Jean-Daniel Charrière, chercheur au Centre de recherche apicole de l’Agroscope à Berne. D’où ce casse-tête: comment remplacer les néonicotinoïdes? Certains voyaient dans un nouvel insecticide, le sulfoxaflor, un substitut possible aux néonicotinoïdes – une perspective cependant controversée. Hélas! Ce produit affecte lui aussi les colonies d’un pollinisateur important, le bourdon terrestre (Bombus terrestris), selon une étude menée à l’Université de Londres.
Pour examiner l’effet du sulfoxaflor sur des colonies sauvages du bourdon terrestre, le plus commun d’Europe, les chercheurs ont d’abord collecté 332 reines sauvages de ce bourdon. A partir de 52 d’entre elles, indemnes de parasites, ils ont obtenu des colonies. Celles-ci ont été tirées au sort pour être nourries, durant deux semaines, soit par de l’eau sucrée seule, soit par de l’eau sucrée additionnée de sulfoxaflor – à une dose correspondant à celle trouvée dans le nectar des cultures traitées par cet insecticide. Puis les deux groupes d’insectes ont été relâchés dans la nature.
Verdict: dans les colonies exposées au sulfoxaflor, les bourdons produisent moins d’ouvrières femelles. Surtout, ils engendrent 54% d’insectes reproducteurs en moins: moins de mâles… et aucune reine! Des effets visibles après seulement deux à trois semaines. Or «les reines sont indispensables pour engendrer de nouvelles colonies l’année suivante», alerte Nigel Raine, entomologiste à l’Université de Guelph (Canada), qui n’a pas participé à l’étude. D’après lui, les méfaits du sulfoxaflor sur la croissance et la reproduction des colonies de pollinisateurs sont semblables à ceux de l’exposition aux néonicotinoïdes trouvés dans des études comparables. «Cela pouvait être anticipé, car ces deux classes d’insecticides affectent les insectes en se liant aux mêmes récepteurs à l’acétylcholine», une molécule qui transmet les messages entre neurones.
Tests de terrain à venir
«Notre étude montre que sous certaines conditions, l’exposition au sulfoxaflor altère les colonies de bourdons. Nous devons maintenant évaluer ce risque sur les abeilles en plein champ», résume Ellouise Leadbeater, coauteur de l’étude. La toxicité du sufloxaflor pour les abeilles a déjà été démontrée en laboratoire. Ce travail «montre clairement qu’il y a lieu d’être très prudent avant de disperser cette matière active dans l’environnement, estime Jean-Daniel Charrière. Si l’effet décrit s’observe aussi dans des essais de terrain, il faudra envisager une utilisation qui n’expose pas les pollinisateurs.» La législation actuelle permet de restreindre l’usage de certains produits à la période d’après la floraison, par exemple.
Une histoire sulfureuse
Les pesticides à base de sulfoxaflor (commercialisés par Dow AgroSciences) ont déjà une histoire législative mouvementée. Aux EtatsUnis, ils ont été homologués en 2013 puis retirés du marché en 2015. L’Union européenne les a autorisés en 2015. Mais en France, ils ont été suspendus en novembre 2017. Alors que certains leaders d’opinion plaident pour classer cet insecticide dans la famille des néonicotinoïdes – ce qui reviendrait, de facto, à restreindre son usage –, cette étude leur offre un argument de poids.
■