Dans les pas du messie
Jonas Bendiksen a suivi sept messies autoproclamés de par le monde. Un travail documentaire exposé aux Rencontres photographiques d’Arles, plus profond qu’il n’y paraît
PHOTOGRAPHIE A Arles, Jonas Bendiksen dévoile une série d’images de messies autoproclamés. Le photographe norvégien a suivi ces prophètes durant trois ans, du Brésil au Japon ou en Afrique du Sud. Un portfolio troublant qu’il détaille dans un entretien au «Temps».
Ce sont deux types drapés de bleu, peau noire et regard doux. Un travesti prêchant dans un micro. Un vieillard mi-elfe mi-père Noël perché sur une trottinette. Un Asiatique en campagne électorale sur le toit d’un minibus. Ils sont chauffeur de taxi, ex-espion du MI5 ou richissime patron de chaînes de télévision philippines. En Angleterre, au Brésil, au Japon ou en Afrique du Sud, Jonas Bendiksen a suivi sept hommes qui se disent être la réincarnation du Messie. La plupart vivent dans la misère, quelques-uns dans l’opulence. Ils prêchent dans les villages ou sur Facebook. Ressemblent aux tableaux de JésusChrist ou à un avatar parfaitement excentrique. Tous sont accompagnés de disciples. Jonas Bendiksen, membre de l’agence Magnum, a partagé leur quotidien de 2014 à 2016. Loin de se moquer de ces êtres spirituels, le Norvégien s’interroge sur la croyance.
Pourquoi ce projet? La question me fascinait depuis longtemps. J’ai été élevé dans une maison sans Dieu. J’ai réalisé peu à peu que certaines personnes avaient une religion, c’était un mystère pour moi. J’ai beaucoup lu, je voulais comprendre ce que représentait le fait d’avoir un Dieu, de croire. Je me suis dit que le meilleur moyen était de demander à Jésus lui-même; il faut toujours aller à la source! J’avais entendu parler du messie de Sibérie lors d’un séjour là-bas. J’ai cherché si d’autres existaient.
Comment les avez-vous trouvés? Via internet. Certains ont des chaînes YouTube ou des sites web. D’autres étaient mentionnés dans les archives de journaux locaux. J’ai établi certains critères comme la longévité et la consistance de leur révélation, la publication de leurs pensées, l’existence d’une communauté de fidèles. J’en ai éliminé quelques-uns et gardé sept, un chiffre important dans la Bible.
Ont-ils été faciles à approcher? Nous avons été parfois intimes, parfois pas du tout. Je n’ai par exemple pas réussi à m’entretenir avec le Japonais. En Afrique du Sud, nous avons débarqué sans prévenir, mon assistante et moi. Comme nous n’avions pas d’hôtel, Moses nous a proposé de dormir chez lui. Il y avait un grand lit dans une grande chambre pour les femmes; mon assistante y a dormi. Et un grand lit dans une grande chambre pour les hommes. J’ai passé une semaine dans le lit du messie!
Que retenez-vous de ces trois années? C’était une expérience magique. Je n’ai pas effectué un travail critique de journaliste, je n’ai pas demandé de preuves de ce qu’ils avançaient. J’ai essayé au contraire de tout considérer comme la pleine et entière vérité. Je ne suis pas devenu croyant pour autant! Mais pour moi, la question la plus importante a toujours été de savoir si une chose était vraie ou non. Aujourd’hui, je n’en suis plus très sûr. Ces gens apportent des réponses à beaucoup, c’est peut-être cela qui prime.
Comment expliquez-vous qu’ils soient tous accompagnés de fidèles? Certains sont charismatiques mais d’autres pas du tout. Les gens les suivent pour les mêmes raisons que l’on adhère à telle religion ou tel spiritisme. C’est le même processus, en moins mystérieux pour moi car dans ce cas, on peut toucher le messie, l’écouter. Ces prophètes ont des discours anti-establishment. Ils sont hors système, pour la plupart déconnectés de ceux qui ont le pouvoir et l’argent. Comme Jésus l’était. Jésus vivait entouré de prostituées, de lépreux ou de parias. Leurs fidèles sont des marginaux également.
Pensez-vous qu’ils sont persuadés d’être la réincarnation de Jésus? Je n’ai pas rencontré personnellement le Philippin aux 6 millions de followers. Lui a beaucoup d’argent, il possède des hélicoptères, etc. Je ne peux pas me prononcer sur son cas. Les autres sont sincères. Il ne s’agit ni d’une performance ni d’une manipulation pour obtenir le pouvoir ou de l’argent. Leur vie était bien moins compliquée avant. Ils ont bien eu une révélation, qu’elle vienne de l’extérieur ou d’euxmêmes. Et ils font ce qu’ils croient être le mieux pour l’humanité.
De quoi vivent-ils? Le Zambien est chauffeur de taxi. INRI Cristo, le Brésilien, reçoit de l’argent de ses fidèles répartis dans le monde. Le Philippin perçoit une taxe de 10% minimum du salaire de chacun de ses disciples.
N’y a-t-il pas de femmes messies, hormis l’Anglais qui possède son double féminin? J’en ai trouvé une ayant vécu en Russie. Elle a eu beaucoup de fidèles dans les années 1990 puis a été emprisonnée. Je n’ai pas réussi à la localiser.
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«Ces prophètes ont des discours antiestablishment. Ils sont hors système, pour la plupart déconnectés de ceux qui ont le pouvoir et l’argent. Comme Jésus l’était» JONAS BENDIKSEN, PHOTOGRAPHIE