Le Kerala compte ses morts
L’honneur patriotique et la solidarité citoyenne sont en jeu dans les secours prodigués aux victimes des inondations meurtrières qui ravagent l’Etat du Kerala
Plus de 400 morts, 725000 déplacés et une facture de 3 milliards de dollars. Tel est le bilan de la mousson, la plus violente depuis cent ans, qui a noyé le Kerala, dans le sud de l’Inde. La contamination des sources d’eau potable fait craindre l’apparition de maladies.
Dans le sud de l’Inde, les précipitations torrentielles de la mousson qui déferlent depuis le mois de juin ont tourné au désastre pour les 33 millions d’habitants de l’Etat du Kerala. Le déluge a occasionné les pires inondations enregistrées dans cette région touristique depuis 1924. Le bilan dépasse à présent 400 morts, fauchés par les eaux et les glissements de terrain. Si des cieux plus cléments laissent enfin entrevoir une décrue, les six derniers jours ont été marqués par le sauvetage effréné d’habitants pris au piège par la montée des eaux. Au total, 725000 personnes ont trouvé refuge dans 5645 camps de fortune. Hélicoptères et bateaux continuent à chercher des survivants et à acheminer des vivres, dans un gigantesque sauvetage qui mobilise les ressources de l’Inde et des initiatives privées. Abondamment relayée par les médias et les réseaux sociaux, cette démonstration de solidarité fait vibrer la corde sensible d’une nation qui se veut forte et patriotique.
Reconnaissance envers les secours de l’armée
Femme enceinte évacuée par les soldats ou enfant transporté à bout de bras: les images de soldats indiens au chevet de sinistrés font ainsi le tour de la Toile. Dans ces terres submergées, les exploits militaires sont salués par l’Inde entière. «Le Kerala a tenu bon, bravant les eaux déchaînées dans une catastrophe sans précédent pour accomplir une mission de secourisme pratiquement impossible», a applaudi Gouridasan Nair, du quotidien The Hindu. Les Indiens se sentent reconnaissants envers leur armée, comme en témoigne une image devenue très populaire: le mot «Thanks» peint sur le toit d’une maison en signe de remerciement aux soldats qui, le 17 août, avaient treuillé par hélicoptère deux femmes en danger.
Certes, l’ampleur exceptionnelle de la tragédie choque les esprits. Le Kerala n’avait pas été témoin de telles inondations depuis près d’un siècle. «De fortes pluies ont coutume de frapper cet Etat, mais pas avec une continuité de cette ampleur», a expliqué le Département de la météorologie nationale. Les spécialistes dénoncent également la main de l’homme. En 2011, des scientifiques avaient alerté les autorités des risques posés au Kerala par l’urbanisation, l’exploitation minière, la déforestation et les constructions en bordure de rivières. Une mauvaise coordination du flux des fleuves et des eaux de barrages, notamment avec l’Etat voisin du Tamil Nadu, n’a rien arrangé.
Dans l’immédiat, l’Inde tente de gérer la crise. Et le géant asiatique a pour habitude de relever luimême le défi. «L’Inde a un bon mécanisme de réponse face aux désastres naturels», a répondu Stéphane Dujarric, porte-parole des Nations unies, à la question de savoir si l’Inde avait demandé une assistance.
Appels à la mobilisation
Mais, dans le pays, les appels à la mobilisation sont omniprésents. «S’il vous plaît, priez pour le Kerala», martèlent les messages qui circulent sur les réseaux sociaux. Les plateformes numériques se sont ainsi impliquées dans les alertes, la coordination et les collectes. Avec notamment 10000 kilomètres de routes endommagées et 26 000 maisons détruites, le coût de la destruction est estimé à 3 milliards de dollars. «En ce moment, rien ne peut aider davantage que de l’argent», a lancé Pinarayi Vijayan, le chef de l’exécutif du Kerala. Ce dernier a demandé aux Indiens de contribuer à un fonds spécial. Les autres Etats de l’Inde ont eux aussi mis la main à la poche. Et le premier ministre Narendra Modi a visité samedi les zones sinistrées. Il a annoncé l’allocation d’un budget supplémentaire de 71 millions de dollars, alors que certains partis de l’opposition, dont le Congrès, l’accusent d’avoir tardé à réagir et de ne pas avoir déclaré ces inondations «désastre national».
Misant sur la conscience citoyenne, le pays dresse la liste des initiatives qui se multiplient. Célébrités, acteurs, politiciens, grandes entreprises, hommes d’affaires, milliardaires ou simple citoyens, la mobilisation est forte. «Cette catastrophe a amené le meilleur des hommes», estime le journal The Telegraph.
Les héros bénévoles
Des députés et des juges de la Cour suprême ont offert un mois de leur salaire. Il y a l’histoire de la petite Anupriya qui économisait pour s’acheter une bicyclette et a offert son argent aux sinistrés. Touchés par «son geste de soutien à l’humanité», des fabricants lui ont offert en retour une bicyclette. Les pays du Golfe, où travaillent beaucoup de personnes originaires du Kerala, ont également déployé une aide généreuse. Enfin, sur le terrain, les actions des bénévoles sont mises en lumière, notamment la bravoure de 1400 pêcheurs avec leurs 600 bateaux. Samedi, sur 54000 villageois secourus dans la zone d’Ernakulam, 18000 l’ont été grâce à leur intervention spontanée. «Des super-héros», selon la presse, que les autorités ont promis de récompenser.
A présent, les appels à la solidarité se tournent vers le domaine de la santé. Car les autorités redoutent l’apparition de maladies liées à la contamination des sources d’eau potable. Ces appels, déjà amplement relayés, permettront peut-être d’anticiper le deuxième acte de la tragédie.
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Plus de 400 morts, 725000 déplacés et une facture de 3 milliards de dollars