Seule une économie au service des gens est durable
Rares sont les personnes qui osent aujourd’hui remettre ouvertement en question l’importance fondamentale du développement durable. Paradoxalement, peu nombreuses sont celles qui sont prêtes à remettre en question notre modèle économique hégémonique, basé essentiellement sur le principe de la liberté économique, l’accumulation des richesses et la maximisation du profit.
Pourtant, même si la liberté économique est inscrite dans la Constitution, cela ne signifie pas qu’elle peut se faire au détriment des aspects sociaux et environnementaux. Bien au contraire, la Constitution précise que l’économie doit contribuer à la «prospérité et la sécurité économique de la population» (art. 94). Autrement dit: l’économie devrait en premier lieu être au service des gens.
Est-ce le cas? Au niveau mondial, le développement économique n’a pas répondu à ses promesses: nous constatons depuis une quarantaine d’années un accroissement très important des inégalités. Selon des études internationales récentes, le pour cent des plus riches a profité deux fois plus de la croissance des revenus que 50% des plus pauvres. Cette tendance se vérifie aussi en Suisse avec une accélération de la concentration du capital chez une petite minorité.
Selon les dernières estimations de l’Union syndicale suisse, les 2% des personnes les plus riches en Suisse détiennent une fortune supérieure à celle des 98% restants. Parallèlement, la classe moyenne s’appauvrit car l’évolution des salaires pour les catégories intermédiaires est à la traîne. En bas de l’échelle sociale, l’évolution de formes précaires d’emploi (sous-traitance, travail temporaire, pseudo-indépendance) pousse les plus vulnérables dans la précarité.
Cette tendance se confirme dans les branches et secteurs économiques bien connus du syndicat Unia. Dans l’industrie, par exemple, la crise financière de 2008 et ensuite la crise du franc fort ont conduit à des vagues de licenciements successives. Cela a entraîné la disparition de milliers de places de travail et l’augmentation du chômage, notamment chez les travailleurs qualifiés âgés de plus de 50 ans. Et même si aujourd’hui l’industrie se porte mieux et que les profits repartent à la hausse, pour les travailleurs âgés licenciés les pertes de revenus (salaire, prestations sociales, retraites) restent durables.
Dans le secteur des services, ce même phénomène de captation des richesses est amplifié par l’arrivée de l’économie de plateforme liée à la numérisation. De grandes sociétés américaines utilisent les nouveaux moyens technologiques pour pressurer leur personnel et éviter de payer leurs impôts, comme l’a fait notamment Amazon en Europe.
Dans le même ordre d’idée, le service de chauffeurs Uber a créé un modèle d’affaires qui vise à contourner systématiquement les lois en vigueur (notamment la législation sur le travail et sur les assurances sociales), dans le but de détruire les modèles de taxis traditionnels grâce à un dumping social de masse. Le but ultime non avoué de ce type d’entreprises: réduire à néant la concurrence pour garantir à moyen terme une position de monopole et imposer un nouveau modèle d’affaires antisocial et bon marché garantissant la maximisation des profits au détriment des travailleurs locaux. Hélas, Amazon et Uber ne sont pas les seuls exemples de ce type. Chaque jour se créent de nouvelles plateformes.
Dans les soins et l’accompagnement des personnes âgées notamment, un secteur dont les perspectives de croissance aiguisent les appétits, de nouveaux acteurs numériques arrivent pour placer du personnel dans les ménages privés à des conditions parfois proches de l’esclavage. Ils agissent au nez et à la barbe des autorités de surveillance qui, faute de moyens, ne sont pas en mesure de faire respecter les lois qu’elles sont censées défendre.
Si, au nom de la liberté économique, on laisse ce genre de modèles d’affaires se développer sans sourciller, notre société va droit dans le mur. La liberté économique ne remplit pas sa fonction si elle aboutit au sabotage des droits des salariés et à réduire à néant la prospérité et la sécurité économique de la population.
Face à cette situation préoccupante, le monde politique et la société civile doivent reprendre la main. Unia défend l’idée d’une économie solidaire qui assure le bien-être des individus et de leur environnement. Nous voulons une société et une économie démocratiques, où les femmes et les hommes peuvent vivre de leur salaire, participer aux décisions sur leur lieu de travail et vieillir dignement sans avoir peur de tomber dans le besoin. Pour y arriver, il est nécessaire que le monde politique s’engage aux côtés des syndicats, et plus largement avec les partenaires sociaux, pour protéger les droits des salariés, préserver les emplois durablement et favoriser une économie de proximité respectueuse de l’être humain.
La liberté économique ne remplit pas sa fonction si elle aboutit au sabotage des droits des salariés et à réduire à néant la prospérité et la sécurité économique de la population