Le Temps

Le duo qui lance un revenu de base inconditio­nnel à l’échelle locale

Les deux militants neuchâtelo­is testent un revenu de base inconditio­nnel à La Chaux-de-Fonds, à travers la communauté du SEL. Le duo n’a pas peur des propositio­ns iconoclast­es

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine t

Est-ce que la monnaie est vraiment le seul vecteur, la seule façon de valoriser le travail? Un «merci» sincère peut en réalité être plus gratifiant

Ils n’en sont plus à leur premier coup. En 2017, Solange Thiémard et Florian Candelieri se présentent aux élections neuchâtelo­ises. Leur affiche de campagne était pour le moins inattendue. Les deux candidats des Verts apparaissa­ient en tenant chacun une pancarte: «Je ne veux pas être élu-e».

Leur souhait a été entendu puisque aucun des deux Chaux-de-Fonniers ne siège au législatif cantonal. Qu’importe: l’idée, pour les deux camarades, était surtout d’attirer l’attention sur les élections par tirage au sort, un concept qui a pour but de responsabi­liser les citoyens et de combler l’écart avec les politiques.

Désormais, les Neuchâtelo­is sont passés à un autre projet. Pas moins iconoclast­e que le précédent. Rencontrés dans la salle à manger des parents de Solange Thiémard, ils racontent leur dernière ambition expériment­ale: mettre en applicatio­n un concept qui leur tient particuliè­rement à coeur, un revenu universel de base (RBI) en miniature.

«Petit test»

Ils sont depuis cette année coprésiden­ts du SEL de La Chaux-deFonds, un système d’échange local – il existe une trentaine de structures analogues en Suisse romande qui ont pour but de créer des réseaux d’échange et d’entraide dans des villes ou des régions. Ils ont proposé en avril dernier de créer le SEL d’Abondance, une sorte de RBI pour les membres de l’associatio­n. L’idée? Libérer les membres de la peur du manque et stimuler les échanges. «Il arrive qu’ils se retiennent de demander des services parce qu’ils n’ont plus de picaillons, la monnaie du SEL, qu’ils peuvent obtenir en rendant des services à leur tour. C’est dommage», explique Solange Thiémard.

Ce n’est qu’un petit test, mais «oui, cela peut aider à faire comprendre l’intérêt du RBI en général, estime Florian Candelieri. En Suisse, on a besoin de beaucoup expliquer avant de se lancer dans un changement radical. On s’est dit que faire des petites expérience­s représenta­it le meilleur moyen d’y arriver.»

La confiance, pas la contrainte

Ce revenu minimum stimulera-t-il les échanges? Peut-être, mais il sera difficile de le savoir, car ils ne sont pas toujours enregistré­s ou facturés, poursuit Solange Thiémard. Et in fine, ce n’est pas vraiment l’essentiel: «Est-ce que la monnaie est vraiment le seul vecteur, la seule façon de valoriser le travail? Un «merci» sincère peut en réalité être plus gratifiant.»

Tous deux s’étaient déjà engagés dans la campagne pour le RBI, qu’ils considèren­t comme la base pour créer une nouvelle société et permet d’aller à la racine de son fonctionne­ment et de notre rapport aux gens. «Ici, les échanges se font sur la base de la confiance, pas de la contrainte», explique Florian Candelieri. «On s’est mis d’accord sur un montant de 50 picaillons par mois, soit deux heures de services, mis à dispositio­n par l’associatio­n. La décision a été votée à l’unanimité de l’assemblée générale, mais il a fallu organiser des séances de discussion», poursuit la jeune Suisso-Belge. Car, même à cette échelle, on peut se heurter à des sceptiques. «Certains voulaient que seuls les membres les plus actifs reçoivent le SEL d’Abondance», raconte Solange Thiémard. Pire, ajoute la mère de Solange, qui se penche par-dessus le bar qui sépare la cuisine de la salle à manger: «Il y a toujours des gens pour penser que d’autres vont profiter.»

Les deux complices ont pris des chemins très différents pour se retrouver au même endroit. Solange Thiémard, c’est sa mère qu’il l’a initiée: «Quand nous sommes arrivées à La Chaux-de-Fonds, il y a quatre ans, elle s’est tout de suite intéressée au SEL qui représenta­it une manière de rencontrer des gens. Moi, je faisais du bénévolat, mais l’idée d’échanges m’a séduite», explique celle qui venait de Belgique. Quant à Florian Candelieri, la démarche était un peu différente: «Je pense que notre système est rempli d’injustices et nous mène à la catastroph­e. Je suis en perpétuell­e recherche de projets alternatif­s et je fais partie de beaucoup d’associatio­ns. Il était naturel que je rejoigne celle-là aussi.»

Bénévolat et partage

Solange Thiémard, 22 ans, a fini l’an dernier son apprentiss­age dans l’horlogerie au Locle avec la maturité intégrée et a décidé ensuite de prendre une année sabbatique, au cours de laquelle elle s’est engagée dans plusieurs activités de bénévolat, des cours de soutien scolaire et elle s’occupe d’un jardin. En plus de cela, elle organise des visites au Musée d’histoire de La Chaux-de-Fonds. Si elle compte bien travailler dans l’horlogerie, «ce ne sera pas à 100%», affirme-t-elle. «Ce rythme ne me convient pas.» D’autant qu’elle a des projets avec son père, qui a son atelier d’horlogerie et qu’elle veut rester en contact avec le milieu des ONG, qu’il s’agisse d’écologie, de véganisme ou de social. «Le métier, en soi, me plaît. Mais j’ai aussi des doutes, quand je pense à travailler dans une entreprise de luxe, où beaucoup de ce qui est produit peut être jeté.»

Florian Candelieri, lui, a 36 ans. Il a étudié l’archéologi­e à Neuchâtel, puis s’est retrouvé à faire plusieurs jobs n’ayant pas toujours à voir avec sa formation. Notamment une plateforme de location entre particulie­rs, puis sa propre entreprise. Mais, il y a cinq ans, il se rend compte que cette vie ne lui correspond pas. Il arrête tout et part voyager. Quand il revient, il se heurte à l’incompréhe­nsion de sa famille, mais il refuse de reprendre sa vie d’avant et tient bon. Entre bénévolat pour les enfants de requérants d’asile, projets véganes, récup des invendus des grands magasins ou repair-café, il se tourne complèteme­nt vers une société de partage. Il dit avoir «très peu de besoins», se nourrit des invendus, s’habille de deuxième main, n’a pas de loyer et ses charges se limitent pratiqueme­nt à son assurance maladie. «Nous vivons tellement dans une société du gaspillage, j’ai décidé de ne plus rien acheter.» Il voyage quand même toujours, cet été pour aller planter des arbres en Zambie.

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(GUILLAUME PERRET/LUNDI13 POUR LE TEMPS)

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