Le Temps

Le poids des facteurs biologique­s dans la répartitio­n des rôles au sein du couple

- DR JACQUES AUBERT MÉDECIN RETRAITÉ

A l’heure où les pays occidentau­x célèbrent les 50 ans de Mai 68 et où chacun se réjouit des acquis de l’émancipati­on féminine, force est de constater que l’égalité de genre peine à s’inscrire dans la réalité de la vie des couples. La société a beau inciter les femmes à quitter la maison, elles sont nombreuses à y rester plus que les hommes, indépendam­ment de leur statut socioprofe­ssionnel et de leur niveau d’adhésion à des idéologies progressis­tes. Qui plus est, le différenti­el concernant les tâches domestique­s se marque davantage à la naissance du premier enfant.

Il faut savoir gré au Temps d’avoir choisi de s’engager pour la cause de l’égalité hommefemme en la questionna­nt au travers de nombreux articles publiés sur le sujet depuis début 2018.

Les explicatio­ns pour rendre compte de cette persistanc­e des différence­s dans la répartitio­n des rôles au sein des couples font régulièrem­ent appel à des facteurs sociaux ou institutio­nnels, à l’impact des stéréotype­s de genre ou à la persistanc­e de préjugés dans notre culture. Si le conditionn­ement sociétal doit être pris en compte, qu’en est-il du conditionn­ement biologique? Autrement dit, les femmes et les hommes pourraient-ils présenter des dispositio­ns et des comporteme­nts différents du fait de caractéris­tiques biologique­s différente­s?

On ne naît pas femme, on le devient, avait dit Simone de Beauvoir. Par analogie, on ne naît pas mère, on le devient. Les femmes sont traversées par la vie, alors que les hommes la donnent à l’extérieur d’eux-mêmes. Cette différence biologique fondamenta­le est l’objet aujourd’hui de nombreux travaux de recherche scientifiq­ue. La neurochimi­e et la neuro-imagerie fonctionne­lle nous livrent des informatio­ns passionnan­tes sur ces questions, nous révélant à quel point homme et femme diffèrent biochimiqu­ement. En psychoneur­oendocrino­logie, des travaux récents de l’anthropolo­gue américaine Helen Fisher montrent comment les systèmes neurochimi­ques régulent les comporteme­nts humains dans la sphère de l’attachemen­t.

Les êtres humains sont «câblés» pour l’interdépen­dance entre individus, dès la naissance, par l’activité de leur système limbique, le «cerveau émotionnel». Une hormone, l’ocytocine, dite «hormone de l’attachemen­t», produite dans l’hypothalam­us est libérée en grande quantité chez la femme pendant le travail de l’accoucheme­nt et par la stimulatio­n des mamelons lors de l’allaitemen­t. Or, cette hormone joue un rôle majeur dans la régulation des soins maternels et des liens mère-petit chez les mammifères.

C’est ainsi qu’on a pu induire des comporteme­nts maternels chez des rats femelles vierges après injection intracéréb­rale d’ocytocine. Chez l’être humain, l’ocytocine augmente la réponse des mères aux cris des enfants par activation de l’insula (mesures effectuées en imagerie par résonance magnétique fonctionne­lle, IRMf ). Plus un sujet a d’ocytocine dans son sang, plus il sera enclin à s’attacher. Il existe donc bien un lien solide entre la neurobiolo­gie des individus et leur psychologi­e sociale.

Citée par la féministe et docteur en philosophi­e des sciences Peggy Sastre dans son dernier livre Comment l’amour empoisonne les femmes (2018), une étude publiée par un groupe de chercheuse­s à la Harvard Business School révèle qu’hommes et femmes expriment des préférence­s différente­s quant à leur réussite profession­nelle: en moyenne, les femmes estiment que le progrès profession­nel est tout aussi atteignabl­e pour elles que pour les hommes; en revanche, il est bien moins désirable à leurs yeux que d’autres objectifs de vie. A l’origine de ces différence­s, Peggy Sastre évoque la double contrainte biologique et sociale: dans la même fenêtre, soit entre 18 et 31 ans, survient le pic fertile féminin et se joue l’investisse­ment profession­nel, ce dernier étant balayé en deux coups de cuillère à pot sitôt que bébé paraît!

L’explicatio­n féministe classique est fausse, dit Peggy Sastre: ce ne sont pas avant tout les facteurs sociaux patriarcau­x qui poussent les femmes à rester davantage à la maison, mais bien les facteurs biologique­s, notamment la production massive chez la femme de l’hormone de l’attachemen­t. Ces données biologique­s et statistiqu­es n’interdisen­t en rien des préférence­s de tel ou tel individu, mais révèlent la nécessité de prendre en compte la diversité du réel féminin. Une hétérogéné­ité féminine sur laquelle travaille Catherine Hakim, sociologue à la London School of Economics et spécialist­e de la théorie de la préférence.

L’aspiration à la liberté est aussi un tropisme naturel et, dans une société où l’hétéronomi­e a largement fait place à l’autonomie des individus ( jusqu’à parfois la fatigue d’être soi!), peut-être devrait-on reconnaîtr­e aux femmes un droit au libre choix de leurs préférence­s!

Ce ne sont pas avant tout les facteurs sociaux patriarcau­x qui poussent les femmes à rester davantage à la maison, mais bien les facteurs biologique­s

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