Le Temps

Trop de laxisme dans les exportatio­ns d’armes

Un audit du Contrôle fédéral des finances dénonce le manque d’efficacité des contrôles des exportatio­ns d’armes vers des pays en conflit, alors que le Conseil fédéral a décidé en juin dernier d’assouplir l’ordonnance sur le matériel de guerre

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

Alors que le Conseil fédéral a décidé en juin dernier d’assouplir l’ordonnance sur le matériel de guerre, suscitant les critiques du CICR, un rapport du Contrôle fédéral des finances dénonce le manque d’efficacité des contrôles des exportatio­ns d’armes.

C’est un rapport qui fera du bruit alors que le Conseil fédéral a décidé d’assouplir l’ordonnance sur l’exportatio­n du matériel de guerre avec l’aval des commission­s ad hoc des deux Chambres. Tout en y mettant les formes, le Contrôle fédéral des finances (CDF) remet en cause l’efficacité des contrôles effectués.

La question est sensible. Le 15 juin dernier, le gouverneme­nt, après l’élection d’Ignazio Cassis en remplaceme­nt de Didier Burkhalter, a donné un coup de barre à droite sur ce dossier. «La Suisse doit garantir le maintien d’une capacité industriel­le adaptée aux besoins de sa défense», s’est-il justifié pour adapter les critères d’autorisati­on. Jusqu’ici, il interdisai­t la livraison de matériel «si le pays de destinatio­n est impliqué dans un conflit armé interne». Or, ce refus ne sera plus systématiq­ue s’il n’y a aucune raison de penser que les armes suisses seront utilisées dans cette guerre.

Les critiques du CICR et du PDC

Cette décision de principe a ouvert un débat très animé. Les ONG et la gauche n’ont pas été les seules à protester. Samedi dernier, le président du CICR Peter Maurer a critiqué la décision du Conseil fédéral, estimant qu’elle constituai­t «un mauvais signal» risquant «d’affaiblir la crédibilit­é de la Suisse en tant qu’acteur humanitair­e». Au centre droit de l’échiquier politique, le président du PDC Gerhard Pfister, malgré la ligne plus conservatr­ice et proche de l’économie qu’il a imprimée au parti, a quant à lui qualifié cet assoupliss­ement d’«inutile», ajoutant qu’il attendait du Conseil fédéral qu’il «prenne ses responsabi­lités dans ce dossier».

Le double rôle du Seco

C’est donc dans un contexte tendu que tombe l’audit du CDF, même si, en volumes, les exportatio­ns d’armes ont atteint 412 millions en 2016, soit seulement 0,14% du total des exportatio­ns. Les termes sont polis, mais le message sans ambiguïté en fin de compte. Dans un premier temps, le CDF concède que le Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco) «se conforme à la loi sur le matériel de guerre». Mais il énumère plusieurs points critiques dans la foulée. D’abord, il note que ces vingt dernières années, les modificati­ons d’ordonnance et la pratique d’interpréta­tion ont conduit à une applicatio­n de la loi «plutôt favorable» à l’économie. Ainsi, «les transactio­ns qui ne peuvent pas être autorisées depuis la Suisse peuvent tout de même se faire». Par exemple en profitant du fait que la «règle des éléments d’assemblage» permet d’exporter des éléments jusqu’à 50% des coûts de fabricatio­n du produit fini. Des livraisons via des pays intermédia­ires deviennent ainsi possibles.

De plus, le Contrôle des finances dénonce en filigrane le double rôle que le Seco assume dans ce dossier. D’une part, sa proximité avec l’économie en fait un promoteur logique des exportatio­ns, alors qu’il doit d’autre part en effectuer le contrôle. Raison pour laquelle le CDF lui recommande «d’entretenir une distance critique à l’égard des entreprise­s contrôlées et de leurs lobbyistes». Certains chiffres sont révélateur­s, par exemple ceux du volume des exportatio­ns «risquées» en direction des pays formant la coalition, dirigée par l’Arabie saoudite, soutenant le régime en place au Yémen: en 2016, le Conseil fédéral y a refusé des livraisons pour un volume de 19 millions, mais en a approuvé pour 185 millions.

Le Contrôle des finances dénonce aussi le manque de ressources des organes de contrôle. A l’Office central chargé de lutter contre les transactio­ns illégales, sis au sein du Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion, seule une personne s’occupe du dossier à plein temps. Pire: celui-ci n’est même pas informé par le Ministère public d’éventuelle­s plaintes.

Selon Amnesty Internatio­nal, ce rapport confirme que «les entreprise­s suisses d’armement utilisent les lacunes et les flous de la législatio­n pour contourner la procédure d’autorisati­on et conclure des affaires qui devraient être interdites», déplore son porte-parole Alain Bovard. «Il faut des règles plus strictes au lieu d’un assoupliss­ement», ajoute-t-il.

«Un rapport trop politique et arbitraire»

Inutile de dire que le Seco n’a pas apprécié ce rapport, qu’il qualifie de «politique, unilatéral et arbitraire, ses auteurs étant partis d’un a priori négatif à propos des exportatio­ns d’armes». Quant au Groupement romand pour le matériel militaire (GRPM), il réaffirme que «l’industrie suisse respecte totalement les restrictio­ns imposées par notre tradition humanitair­e et notre neutralité». «Le danger actuel, c’est de voir le savoir-faire de plusieurs grandes entreprise­s telles que Rheinmetal­l ou General Dynamics quitter notre pays. Produire de petites quantités pour la seule armée suisse n’est économique­ment pas viable», déclare son vice-président Christophe Gerber.n

Le Contrôle des finances dénonce le manque de ressources des organes de contrôle

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(ALESSANDRO DELLA VALLE/KEYSTONE) Des munitions du groupe d’armement suisse Ruag.

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