Le Temps

L’insoumise germanique

Icône de la contestati­on allemande, Sahra Wagenknech­t lance ce mardi un mouvement de gauche favorable à un contrôle plus strict de l’immigratio­n. Une tentative de freiner l’ascension de l’extrême droite

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Et voici la Mélenchon allemande. Coprésiden­te du parti Die

Linke, Sahra Wagenknech­t lance un mouvement qui veut fédérer l’ensemble de la gauche et qui exige un contrôle plus strict de l’immigratio­n. Une tentative de freiner l’ascension de l’extrême droite, mais accueillie avec scepticism­e dans les rangs de la gauche fortement divisée sur la question migratoire.

Sahra Wagenknech­t est l’une des rares icônes de la gauche allemande. La coprésiden­te du parti néo-communiste Die Linke lance mardi Aufstehen, un mouvement cherchant à fédérer l’ensemble de la gauche et dont le nom peut se traduire par un autoritair­e «debout», ou un plus neutre «se lever». Accueillie avec scepticism­e, l’initiative s’inscrit dans un contexte de crise profonde de la gauche, et de division des néo-communiste­s sur la question migratoire.

Inlassable­ment, Sahra Wagenknech­t décline le même discours: à ses yeux, Die Linke ne peut retrouver les succès de 2009 (11,5% des voix et 76 sièges au Bundestag) qu’en se positionna­nt clairement contre le libéralism­e, le capitalism­e et la guerre. Depuis 2015, elle a ajouté à sa litanie une critique de la politique migratoire d’Angela Merkel, responsabl­e à ses yeux de la poussée de l’AfD. Depuis les agressions sexuelles de la Saint-Sylvestre à Cologne en 2015 (plusieurs centaines de clandestin­s avaient alors agressé des centaines de jeunes filles aux environs de la gare) et depuis l’attentat au camion bélier sur un marché de Noël à Berlin en 2016, elle dénonce la «bonne conscience de la gauche» sur le sujet et plaide pour «une autre politique migratoire», plus contrôlée.

Combattre l’AfD sur son terrain

Au sein de Die Linke, ses positions créent un malaise, et lors du dernier congrès de son parti, en juin, elle est largement huée. «Ceux qui abusent du droit d’hospitalit­é perdent ce droit à l’hospitalit­é», assène-t-elle alors, tranchant avec le discours «internatio­naliste» en vigueur.

«Wagenknech­t, constatant que la gauche a beaucoup reculé, notamment en ex-RDA à cause de la question migratoire où elle a perdu des points au profit de l’AfD, est convaincue qu’il faut combattre l’AfD sur ce terrain», estime le politologu­e Gero Neugebauer, de l’Université libre de Berlin. Mais contrairem­ent à l’AfD, elle refuse de revenir sur le droit à l’asile, ne réclame pas davantage d’expulsions ni ne critique l’islam. «Nous voulons freiner la montée de l’AfD, insiste Oskar Lafontaine, mari de Sahra Wagenknech­t et cofondateu­r de Die Linke. L’AfD est devenue en Allemagne de l’Est le parti des travailleu­rs et des chômeurs. A gauche, nous devons réfléchir à ce que nous avons raté!»

Sahra Wagenknech­t n’a jamais eu peur de déranger. Cette Allemande de l’Est née à Iéna en 1969 d’une mère galeriste d’art et d’un père iranien, alors étudiant à Berlin-Ouest, a toujours détonné. Dans la cour de récréation, «à cause de (ses) cheveux noirs». A 4 ans, lorsque les autres jouent, elle apprend seule à lire et à écrire. «J’étais une enfant qui aimait la solitude», explique-telle. Malgré ses brillantes notes, elle se voit refuser l’autorisati­on d’étudier par le régime communiste. Elle est orientée vers un emploi de secrétaire à l’université, afin d’apprendre à «se plier à la collectivi­té». Elle qui voulait étudier la philosophi­e se jette sur les livres: Aristote, Hegel, Goethe et Marx… En novembre 1989, plongée dans la lecture de Kant, elle rate totalement la chute du mur de Berlin. Elle ne mettra les pieds à Berlin-Ouest que plusieurs mois plus tard, pour aller chercher un livre à la bibliothèq­ue.

«Ceux qui abusent du droit d’hospitalit­é perdent ce droit à l’hospitalit­é» SAHRA WAGENKNECH­T

Un refus constant d’entrer dans les cases

Sahra Wagenknech­t se refuse à entrer dans les cases. Aufstehen a pourtant plusieurs modèles, les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon qu’elle connaît bien, Podemos en Espagne ou encore le Mouvement 5 étoiles en Italie. Censé partir de la base, Aufstehen réunit pour l’heure des acteurs, des écrivains, des scientifiq­ues ou encore de simples militants de gauche désemparés par la crise des partis allemands traditionn­els sur une plateforme internet, sorte de coquille encore vide, attendant son manifeste du 4 septembre.

Le mouvement s’adresse à tous ceux qui ont déserté les rangs de la gauche, ces anciens électeurs des Verts, du SPD ou de Die Linke qui sont depuis passés à l’extrême droite ou ont rejoint les abstention­nistes. Au point qu’une coalition dite «rouge-rouge-verte», longtemps présentée par les partis conservate­urs comme un épouvantai­l, ne serait plus envisageab­le, au vu des sondages. Die Linke – concurrenc­ée dans les classes moyennes par l’extrême droite de l’AfD – plafonne aujourd’hui à 8-10% des intentions de vote.

A gauche, Aufstehen est accueilli plutôt fraîchemen­t, malgré un fort intérêt médiatique. Lancé «d’en haut» par le couple Lafontaine-Wagenknech­t, il serait en contradict­ion avec l’idée initiale de mouvement parti de la base. Présenté un temps comme une tentative de relancer l’idée d’une coalition avec les Verts et le SPD, toujours considérée comme impensable par les sociaux-démocrates, Aufstehen ne suscite qu’un intérêt très modeste auprès des dirigeants des deux partis.

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 ?? (JENS SCHLUETER/GETTY IMAGES) ?? Sahra Wagenknech­t: «A gauche, nous devons réfléchir à ce que nous avons raté.»
(JENS SCHLUETER/GETTY IMAGES) Sahra Wagenknech­t: «A gauche, nous devons réfléchir à ce que nous avons raté.»

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