L’insoumise germanique
Icône de la contestation allemande, Sahra Wagenknecht lance ce mardi un mouvement de gauche favorable à un contrôle plus strict de l’immigration. Une tentative de freiner l’ascension de l’extrême droite
Et voici la Mélenchon allemande. Coprésidente du parti Die
Linke, Sahra Wagenknecht lance un mouvement qui veut fédérer l’ensemble de la gauche et qui exige un contrôle plus strict de l’immigration. Une tentative de freiner l’ascension de l’extrême droite, mais accueillie avec scepticisme dans les rangs de la gauche fortement divisée sur la question migratoire.
Sahra Wagenknecht est l’une des rares icônes de la gauche allemande. La coprésidente du parti néo-communiste Die Linke lance mardi Aufstehen, un mouvement cherchant à fédérer l’ensemble de la gauche et dont le nom peut se traduire par un autoritaire «debout», ou un plus neutre «se lever». Accueillie avec scepticisme, l’initiative s’inscrit dans un contexte de crise profonde de la gauche, et de division des néo-communistes sur la question migratoire.
Inlassablement, Sahra Wagenknecht décline le même discours: à ses yeux, Die Linke ne peut retrouver les succès de 2009 (11,5% des voix et 76 sièges au Bundestag) qu’en se positionnant clairement contre le libéralisme, le capitalisme et la guerre. Depuis 2015, elle a ajouté à sa litanie une critique de la politique migratoire d’Angela Merkel, responsable à ses yeux de la poussée de l’AfD. Depuis les agressions sexuelles de la Saint-Sylvestre à Cologne en 2015 (plusieurs centaines de clandestins avaient alors agressé des centaines de jeunes filles aux environs de la gare) et depuis l’attentat au camion bélier sur un marché de Noël à Berlin en 2016, elle dénonce la «bonne conscience de la gauche» sur le sujet et plaide pour «une autre politique migratoire», plus contrôlée.
Combattre l’AfD sur son terrain
Au sein de Die Linke, ses positions créent un malaise, et lors du dernier congrès de son parti, en juin, elle est largement huée. «Ceux qui abusent du droit d’hospitalité perdent ce droit à l’hospitalité», assène-t-elle alors, tranchant avec le discours «internationaliste» en vigueur.
«Wagenknecht, constatant que la gauche a beaucoup reculé, notamment en ex-RDA à cause de la question migratoire où elle a perdu des points au profit de l’AfD, est convaincue qu’il faut combattre l’AfD sur ce terrain», estime le politologue Gero Neugebauer, de l’Université libre de Berlin. Mais contrairement à l’AfD, elle refuse de revenir sur le droit à l’asile, ne réclame pas davantage d’expulsions ni ne critique l’islam. «Nous voulons freiner la montée de l’AfD, insiste Oskar Lafontaine, mari de Sahra Wagenknecht et cofondateur de Die Linke. L’AfD est devenue en Allemagne de l’Est le parti des travailleurs et des chômeurs. A gauche, nous devons réfléchir à ce que nous avons raté!»
Sahra Wagenknecht n’a jamais eu peur de déranger. Cette Allemande de l’Est née à Iéna en 1969 d’une mère galeriste d’art et d’un père iranien, alors étudiant à Berlin-Ouest, a toujours détonné. Dans la cour de récréation, «à cause de (ses) cheveux noirs». A 4 ans, lorsque les autres jouent, elle apprend seule à lire et à écrire. «J’étais une enfant qui aimait la solitude», explique-telle. Malgré ses brillantes notes, elle se voit refuser l’autorisation d’étudier par le régime communiste. Elle est orientée vers un emploi de secrétaire à l’université, afin d’apprendre à «se plier à la collectivité». Elle qui voulait étudier la philosophie se jette sur les livres: Aristote, Hegel, Goethe et Marx… En novembre 1989, plongée dans la lecture de Kant, elle rate totalement la chute du mur de Berlin. Elle ne mettra les pieds à Berlin-Ouest que plusieurs mois plus tard, pour aller chercher un livre à la bibliothèque.
«Ceux qui abusent du droit d’hospitalité perdent ce droit à l’hospitalité» SAHRA WAGENKNECHT
Un refus constant d’entrer dans les cases
Sahra Wagenknecht se refuse à entrer dans les cases. Aufstehen a pourtant plusieurs modèles, les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon qu’elle connaît bien, Podemos en Espagne ou encore le Mouvement 5 étoiles en Italie. Censé partir de la base, Aufstehen réunit pour l’heure des acteurs, des écrivains, des scientifiques ou encore de simples militants de gauche désemparés par la crise des partis allemands traditionnels sur une plateforme internet, sorte de coquille encore vide, attendant son manifeste du 4 septembre.
Le mouvement s’adresse à tous ceux qui ont déserté les rangs de la gauche, ces anciens électeurs des Verts, du SPD ou de Die Linke qui sont depuis passés à l’extrême droite ou ont rejoint les abstentionnistes. Au point qu’une coalition dite «rouge-rouge-verte», longtemps présentée par les partis conservateurs comme un épouvantail, ne serait plus envisageable, au vu des sondages. Die Linke – concurrencée dans les classes moyennes par l’extrême droite de l’AfD – plafonne aujourd’hui à 8-10% des intentions de vote.
A gauche, Aufstehen est accueilli plutôt fraîchement, malgré un fort intérêt médiatique. Lancé «d’en haut» par le couple Lafontaine-Wagenknecht, il serait en contradiction avec l’idée initiale de mouvement parti de la base. Présenté un temps comme une tentative de relancer l’idée d’une coalition avec les Verts et le SPD, toujours considérée comme impensable par les sociaux-démocrates, Aufstehen ne suscite qu’un intérêt très modeste auprès des dirigeants des deux partis.
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