Le Temps

Le triclosan, au nom de la liberté de s’empoisonne­r

- REBECCA RUIZ @reb_ruiz

Pour la rentrée, le Conseil fédéral a aussi des devoirs. Répondre aux dizaines d’interventi­ons parlementa­ires déposées avant l’été en fait partie. Auteure d’un postulat sur les effets néfastes du triclosan, je caressais le maigre espoir d’un soutien du gouverneme­nt.

Le triclosan, c’est cette substance entrant dans la compositio­n de nombreux cosmétique­s. Selon les résultats de récentes recherches scientifiq­ues, il est aussi puissant pour éviter la proliférat­ion bactérienn­e que pour provoquer des cancers. Peut-être digne de quelques investigat­ions, voire d’un abaissemen­t des valeurs limites? Eh bien, non. Le Conseil fédéral me promet en revanche que l’administra­tion lira les études avec attention. Me voilà rassurée.

A ce stade, le plus simple serait de vous parler du pouvoir des lobbys industriel­s. Et nul doute qu’ils veillent au grain pour éviter toute entrave à leur commerce. Si même Nicolas Hulot, armé de sa popularité et de ses conviction­s, n’a pas pu en faire façon… Mais à vrai dire, je constate qu’ils n’ont plus besoin d’attaquer frontaleme­nt.

Paradoxale­ment, le nombre croissant d’études largement diffusées sur les conséquenc­es graves de nombreux produits ou phénomènes joue en leur faveur. Cette circulatio­n massive des connaissan­ces fournit l’excuse idéale au désengagem­ent des pouvoirs publics: plutôt que d’investigue­r et de hiérarchis­er sérieuseme­nt les dangers – le plus bruyant, le plus voyant, celui qui buzze le plus n’étant pas forcément le pire – l’Etat libéral jette l’éponge en toute bonne conscience. Se fondant sur l’accessibil­ité théorique de l’informatio­n, il laisse chaque individu composer son panier de légumes et d’additifs. Au nom, bien sûr, de la liberté individuel­le, y compris celle de s’empoisonne­r.

La réalité? En pratique, on se retrouve perdu. Noyé dans un océan d’alertes, sommé de déchiffrer chaque étiquette et de faire le tri entre le plausible et l’impossible. Agir et acheter de façon saine, sûre, durable, éthique: il faudrait plusieurs diplômes pour toujours y parvenir. Alors, honnêtemen­t, de temps en temps, une bonne vieille norme, une bonne vieille loi, basée sur ce bon vieux principe de précaution… est-ce que vraiment ça nous compliquer­ait la vie?

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